dimanche 17 juillet 2011

HEIVA I TAHITI …Ou comment le 14 juillet peut durer deux mois. Tahiti, le 17 juillet 2011.

 "Chaque jour, je mange les quatre éléments nutritifs indispensables à la santé : du chocolat au lait, du chocolat noir, du chocolat blanc et du cacao."  (Debra Tracy)

 Un frisson d’excitation parcourt l’ensemble des lecteurs. Si, si, j’en suis sûre : voilà la séquence “Culture et Civilisation” tant attendue !
Le plus célèbre des festivals culturels de la Polynésie est sans conteste le Heivā i Tāhiti. Prononcer bien sûr “Hé-i-Va”, en détachant bien chaque voyelle (c’est simple pour celui-là). Grande fête traditionnelle débutant au début du mois de juin par les prestations des écoles de danse et des scolaires, pour durer… jusqu’à fin juillet officiellement à Papeete avec la remise des prix aux gagnants, jusqu’à …ouhlala … mi-août dans certaines iles plus lointaines! Le tout englobant la fête nationale du 14 juillet.
Nous arrivons le 16 au soir devant la Marina Taina. Située à la sortie de Papeete. Pa-pé-été bien sûr, pas “papette” … Juste le temps d’ancrer, d’appeler Nicolas –commandant de “La Boudeuse” , Carine l’a rencontré à Nuku Hiva où il passait une semaine de vacances avec femme et enfants, et ils ont sympathisés : pourtant en plein déménagement, il viendra nous chercher tout de suite, juste pour nous amener en ville, puisque nous sommes sans moyen de déplacement - qui nous dépose à Papeete. Place TO’A TA, sur le front de mer où se déroule le dernier spectacle du concours de chant et danse du Heiva. Une grande arène, des gradins, des entrées gardées. Et une billetterie. Nous avons prévu d’user les talents de journaliste de Carine pour avoir une place car il n’y en en aurait plus, tout est complet parait-il. Nous, c’est Carine et moi. Luké a déclaré forfait après la nuit d’arrivée agitée et le réveil en fanfare au milieu de la course de pirogue. Carine a sa carte de journaliste, je suis sa photographe officielle (avec appareil photo en bandoulière, air pro et regard acéré. Si, je peux le faire!). Nous devrions pouvoir nous caser avec le groupe “Presse”, généralement bien placé dans les spectacles. Carine se transforme instantanément de “jeune fille tour du mondiste en sac à dos” en “Professionnelle du reportage”. Je découvre la pro! Aisance, assurance, elle sait de quoi elle parle. Après des tours et des détours, des attentes et des aller et venues, bref, une organisation très au point d’un côté –le côté “local”- mais qui n’a pas envisagée la venue de journaliste “extérieurs” (après le Heiva, c’est pas pour les Popas !) Carine arrive à attraper le responsable des relations publiques. qui court tel le furet de la chanson et ne repasse pas toujours par ici quand il a filé par là. Oh surprise, en Polynésie les cartes de journalisme n’existent pas (!?!), seuls les journalistes “locaux” peuvent prendre des photos et se retrouver au “coin presse” à l’intérieur des manifestations. Vu le nombre de journaux, donc de journaleux, pas besoin de papiers pour les reconnaitre. Pas d’accréditation accordée, enfin, si, une sorte d’accréditation: payante ! 10000XPF, environ 80 euros. Plus le prix des places de spectacles, 3000XPF, soit 25 euros de plus! Gloup. Carine est sidérée. Moi, je tombe des nues, ce monde des médias est une autre planète. Visiblement, les Polynésiens dansent et chantent pour eux, que le Heiva soit connu et montré dans le monde ne leur fait ni chaud ni froid. Le tout expliqué avec énormément de gentillesse comme d’habitude. Tellement que le fameux responsable nous invitera à venir “quand même” (ben tiens, on est venues pour ça à la base!) assister au spectacle et nous placera au premier rang des gradins. A quelques mètres des magnifiques danseurs des Australes (entre autres) et des danseuses tout sourires et grâce. Un régal. Une soirée inoubliable mais… pas de photos! Tant pis, on prend tout dans les mirettes (surtout les belles cuisses tatouées de quelques tanés musclés) et on conseille à ceux qui seraient tentés … de venir pour le Heiva 2012!
P1020298 Photo de consolation: les gradins et l’arrière de la scène des fêtes, vus de la mer …
C’est donc à quelques mètre de la scène que nous assisterons aux prestation des groupes de danses. Entre autres, le groupe TAMARII COMMUNE PUNAAUIA (prononcer Pu-Na-Ouya”, ça se corse!), en incroyables costumes  “tout végétal et coquillages” (faits par les groupes eux-mêmes). Végétaux uniquement Polynésien fraichement cueillis ou secs. C’est la règle. Les costumes, couronnes, accessoires, tout doit être fabriqué de manière traditionnelle et en végétaux et coquillages, nacres etc. C’est splendide. Ces costumes font l'objet aussi de concours récompensés. C'est dire si l'imagination est au pouvoir pour tout en se démarquant et en créant, garder l'esprit de la tradition. Intercalés entre les groupes de danse, les prestations des groupes de chants polyphoniques, avec chefs de chœur montés sur ressorts et groupes assis, selon la catégorie : chaque catégorie de chant (comme de danse) a des règles bien précises. C’est le concours d’Himene. Chants debout, chants assis, gestuelle bien particulière. Les chœurs sont magnifiques, frissonnants. Une certaine catégorie se taille un franc succès, je dirais la catégorie “Chants mimés comiques sur thèmes gaillards”. Voire paillards peut-être. En tous cas la salle est pliée de rire, nous aussi, c’est contagieux. Et puis, les gestes, on comprend! Tout se parle et se chante en Tahitien, un tantinet encore obscur pour nous, mais pas grave, on se régale. Le clou des groupes de chant est le NGATE KAIANU NO RAPA, originaire du village de Area dans les Australes. C’est aux Australes qu’il y a des gosses si insupportables qu’on en fait des chansons! Le groupe a pour l’occasion évoqué la légende d’un nouveau-né appelé Rekie. L’histoire raconte que des parents impuissants face aux pleurs incessants de leur cher rejeton, craquèrent. Et le laissèrent toute une nuit hors du foyer, histoire de dormir un peu. Ce dernier fut finalement emporté par un esprit et, malgré les supplications du couple, il ne lui fut jamais rendu. Une sorte d’éducation parentale sous forme de chants ? Un conseil subliminal (achetez des boules Quies plutôt que de jeter Bébé dehors) ? Un espoir pour les voisins ? Quoiqu’il en soit, l’enthousiasme dans l’interprétation de ces chants particuliers à l’île de Rapa était très émouvant. “Amateurs de chants ou public non initié, auront certainement retenu le himene ru’au (chant), ou « himene faux » comme l’a malicieusement annoncé Maurei Angia, et ses variantes. Les voix des Ngate Kaianu no Rapa montent, descendent et c’est là toute la subtilité et tout l’art de Rapa que de procéder de façon délibérée à des changements de tonalités et de tempo qui constituent l’une des caractéristiques les plus étonnantes de ces chants. Les fidèles des prestations des Rapa auront également reconnu le charismatique Pierrot Faraire venu se joindre à l’effectif de Ngate Kaianu no Rapa et compléter ainsi notablement la prestation vocale du groupe.” (Article du Journal).
Une soirée magique, un retour en stop comme sur des roulettes….
Et le lendemain….la suite !
Dimanche 17 juillet 2011
Journée des compétitions sportives “terrestres”, au Musée de Tahiti et ses iles, à quelques kilomètres de la Marina Taina. Un coup de stop à la sortie de la Marina nous permet de rencontrer une famille Popaa très sympa –que nous reverrons autour d’un verre sur leur voilier- et nous découvrons le Musée et ses beaux jardins.
Dernier jour des concours sportifs. La lutte est acharnée et le spectacle garanti. Le public a envahi les pelouses, le four Polynésien finit sa cuisson, les glacières s’ouvrent sur les bières fraiches, bref, tout va bien! Commençons par le premier site que nous rencontrons, celui des lanceurs de javelot. Cette discipline ancestrale nous vient dans sa forme actuelle de l’archipel des Tuamotu. Le but est d’atteindre avec les javelots une noix de coco (j’ai mis un moment pour la voir) petite, petite, petite, perchée en haut d’un mât à 9,50m du sol. Les compétiteurs sont alignés à 22m du mât et disposent de 7 minutes pour lancer une dizaine de javelots. Ouf ! Ambiance survoltée. Survoltée à la tahitienne, faut pas pousser quand même. On s’entraine, on traine, on vérifie ses javelots en bambou, on papote et surtout, on rigole. Les Vahinés commencent.
Lancer de javelots
1-javelot vahinés Puis les Tanés.
18-javelot Une pluie de javelots s’abat sur le mât, le cocotier et les environs. C’est du grand art. Recommandations du présentateur: surtout se tenir loin du site et surveiller les enfants, un coup de javelot, ça vous épingle comme un papillon sur une planchette. Ovations aux gagnants, les javelots se sont plantés comme dans du beurre….
19-javelot Résultats commentés avec rires et félicitations: il faut l’attraper la noix!
16-javelot tanes La tenue traditionnelle est imposée: paréo ceint sous forme de short et couronne de fleurs. C’est quand même autre chose que les fades sportifs en uniforme Adidas et Nike. Ici, c’est LA classe !
Plus loin, une petite arène calme et concentrée. Ce sont les derniers rounds du lever de pierre . Le public est sagement assis, le souffle suspendu quand les femmes soulèvent des pierres (sept pierres amenées spécialement de l'ile de Rurutu … et ramenées après) de 60kg. Les hommes eux, commencent à en catégorie "léger" -Tane pesant de 55 à 74 kg-, jusqu’à …150kg pour les "Extra Lourds", les colosses affichant 121kg et plus. C’est une épreuve de force qui vient de l’archipel des Australes. La pierre est un bloc lisse de forme plus ou moins cylindrique. Une discipline des plus suivies. Le jury, pour désigner le vainqueur, se base sur la rapidité du lever, du rapport entre le poids du "leveur" de pierre et de la pierre elle-même et de la présentation du candidat.

lever de pierre 2
 lever de pierre 3

IMG_4553 Et hop!  
Enfin, l’exubérante épreuve de la préparation du coprah. Directement issu de la vie quotidienne dans les îles, le concours de préparation du coprah consiste en un minimum de temps, à fendre, ouvrir et extraire la pulpe de 150 noix de coco. L’opération se déroule par équipe de trois candidats : le premier fend les noix de coco à la hache, le second les décortique avec une lame et le troisième remplit les sacs en toile de jute. Le trio le plus rapide mettra 17 minutes…
23-coprah
Les sauveteurs de la Croix Rouge entourent de près les candidats. Et les spectateurs aussi. Une noix sur la tête est si vite arrivée… Les haches s’agitent à toute allure, les écorces de noix volent dans tous les sens, la pulpe s’amoncelle en tas. Chaque équipe a fini quand toutes les noix sont décortiquées, le coprah dans son sac et les déchets dans le leur. Et les candidats entiers.
Entre deux finales, les troupes de danses qui ont participé au Heiva se produisent et nous offrent un spectacle à s’en mettre plein les mirettes. En particulier la troupe de Rapa, aux Australes et celle de l’ile de Pâques. Mais aussi, toujours, encore …les Marquises !
3-danseuse
2-danseur
8-danseur

21-Porter de pierre
15-ile de paquesDanseur de l’ile de Pâques, ile invitée d’honneur cet année.
Et l’orchestre, bien sûr, infatigable…
P1020322
Nous devons rentrer tôt. Ce soir, invitation chez Alexandra et Nicolas. La maison est presque vide mais le cœur est toujours bien présent! On tente d’apercevoir la finale du concours de cocotiers, mais, et bien… il y a un certain retard … Etonnant, non ?
Avant de clore le chapitre “HEIVA”, il faut répondre à cette question cruciale qui, j’en suis sûre, brule les lèvres de tout lecteur: Comment un festival traditionnel, venu de la nuit des temps et des confins du globe, s’est retrouvé baptisé “Fêtes du 14 juillet” ? Car comment se fait-il qu’au milieu de vahinés virevoltantes agitant les hanches à donner le roulis au marin le plus aguerri, et des guerriers tapant le Haka (et leurs cuisses tatouées), se trouvent les commémorations de la prise de la Bastille? Sujet bien étranger et bien étrange à la culture Polynésienne. Et bien, baptiser est le mot à garder. Reprenons rapidement. Tahiti, les iles, la Polynésie, un monde et une culture bien définis quand les marins et les pêcheurs les ont “découverts”. Enfin, sont tombés dessus en baguenaudant sur le Pacifique. Un paradis sur terre pour ces hommes habitués à la vie rude et élevés au chant du “Tu es sur terre pour souffrir, mon enfant”. Bon, tous ne souffraient point, soit, mais tous découvrirent qu’ils n’étaient pas uniquement sur terre pour, disons, en voir des vertes et des pas mures, et cela donna l’envie pressante et irrésistible à une bonne partie d’entre eux de s’installer sous ces cieux bien bleus. Avec ces vahinés bien belles. Et une population hospitalière et festive. Là où ça s’est gâté, c’est quand les Eglises diverses et variées du vieux monde se sont rendues compte du potentiel en nombre de brebis (pas égarées pour deux sous, mais il faut bien faire du chiffre) qui ignoraient jusqu’à l’existence de l’enfer. Juste Ciel ! Les missionnaires entrent alors en action. Et missionnent à tour de goupillon. La conversion de Tahiti au christianisme par les envoyés de la Société missionnaire de Londres s’achève après 1815. Un “succès spirituel” qui donne lieu à des « codes de lois ». Le roi Pōmare II établit un code dès 1819 prétendant abroger «d’anciennes et mauvaises habitudes », « toutes chansons, jeux ou divertissements lascifs sont strictement défendus.» En 1842, la Reine Pōmare IV promulgue elle aussi son interdit «les danses troublent et font croître le mal sur cette terre (…) détruire la source d’où croissent les causes de désordre est une chose convenable». L’histoire a le sens de l’humour : la commémoration de la prise de la Bastille va être à l’origine du retour des divertissements. Ce sera “LE juillet”. Le "Tiurai", du mot Anglais "July" (juillet). Tous les archipels se ruent dans la capitale, avec victuailles et économies. Pour une fois que faire la fête est permis !!!! Bon, les Tahitiens ne sont toujours pas admis au bal du 13 juillet (et oui...) mais ils peuvent chanter et concourir, c'est un début. De 8 jours en principe, les fêtes s’étendent de plus en plus dans le temps. quand on a fait le trajet des Australes ou des Marquises -des jours de pirogues- pour rallier la capitale, ce n'est pas pour pousser une chansonnette et repartir. Danses, chants, sports traditionnels, artisanat …  En 1956, le groupe de danse de Madeleine MOUA  « Heiva »  voit le jour. Composé de "jeunes filles de bonne famille", le groupe est crédible (et vertueux, je suppose!) et remporte un franc succès dès sa première prestation. Le reste suivra … Et deviendra le Heiva que nous venons de connaitre.
“La danse a bien failli disparaître. D’interdictions en réhabilitations partielles, les danses traditionnelles ont une place essentielle dans la société polynésienne. Aux temps anciens, elle marquait  les étapes  de la vie et on honorait les visites officielles par la musique, la danse. Le Heivā a redonné ses lettres de noblesse à la danse, la grâce et la sensualité ne sont plus des tabous.  Chaque année, les groupes ont à cœur de raconter le « fenua ». Les gestes, tout de grâce et de séduction racontent des scènes de la vie courante, comme la préparation du lait de coco ou le retour de la pêche, illustrent une légende de la vie passée du peuple mā'ohi. L’appréhension de voir la danse pervertie ou polluée par les influences extérieures a conduit à tenter de codifier la danse, ses pas… De nombreuses personnalités culturelles œuvrent pour conserver ce patrimoine culturel. “
12-Marie

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