mardi 31 mai 2011

UN VOILIER AU MILIEU DU PACIFIQUE, entre deux vagues, le 30 mai 2011

“Le marin se distingue par son aptitude à pratiquer la sieste à toute heure, en tous lieux, par tous les temps. Car ce qui est pris n'est plus à prendre.”                                                                                                                                                                         (Henri Monier)
 Lundi 30 mai 2011
Premier jour de la deuxième semaine de navigation. Je suis toujours incroyablement sereine. Après l’Atlantique que j’avais exécré (si, si, exécrée!!!), le Pacifique est MON océan. Enfin, celui que j’ai choisi ! Sur lequel j’ai vraiment décidé d’être bien. Il a décidé d’être gentil en plus, et malgré quelques jours un peu … épiques, jamais vraiment agressif. Ce qui vaut mieux car on ne voit pas encore le bout du tunnel: nous avons fait un grand pas en avant (nous n’étions pas au bord du gouffre) mais même si tous les chemins mènent en Polynésie (et rien n’est sûr), ils y mènent lentement…
Encore plus lentement que prévu parce que ce matin, je me suis rendue compte que mes calculs de fuseaux horaires étaient, euh… fantaisistes. Ce qui n’étonnera aucun de ceux qui me connaissent. Bref, je me suis réveillée à 8h. Le soleil, ce fainéant, émergeait à peine. Curieux, ça. Et le soir, il se couche bien tard. Pas raisonnable. Et pas normal. Reprise en main du téléphone, et de la position GPS qui calcule notre fuseau. Par Luké et par prudence. Conclusion: ce matin, à 10h, il était 8h. Le soleil s’est bien levé à 6h, comme prévu sous ces latitudes. Et couché de même le soir. Je suis une littéraire moi. Les fuseaux, c’est pour la Belle au Bois Dormant (justement), pas pour de triviaux calculs horaires tout ce qu’il y a de factice. Ensuite, journée normale. Luké a pêché sa Coryphène et préparé une partie marinée à l’escabèche et le reste en “bonbons”.
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Nous voguons au fil de l’eau … Le cata est si “plat” que nous installons la chaise pliante en toile, très confortable pour regarder la mer droit dans les yeux. Et nous en voyons des choses. Des vagues, de l’écume, des poissons volants… Jeanne scrute et cherche ses ennemis les Dauphins. Il y a deux jours, Luké a vu quelques baleines passer nonchalamment. Aujourd’hui, personne.
DSCF6910 Sauf des poissons volants.
Mais à la tombée de la nuit, branle-bas de combat ! Le Capitaine a aperçu une lumière sur l’horizon. Un cargo ? Un chalut ? Non, un voilier. Il faut imaginer cette immensité où si nous voulons retrouver les amis, il faut connaitre exactement leur position GPS. Des milliers et des milliers de kilomètres carrés vides. Et nous, nous rattrapons un voilier. Genre aiguille dans un tombereau de foin. Persuadés que c’est Julien sur son petit “Lagaffe”, parti quelques jours avant nous, nous nous époumonons dans le micro de la VHF. Pas de réponse. On se rapproche. On appelle à nouveau. Mais la taille et les lumières ne correspondent pas. Et toujours pas de réponse. Malotrus. On les double et on file !
Nuit mi-moteur/mi-voile… Le vent a chuté et va descendre jusqu’à 9 nœuds. Ce qui veut dire pas plus de 4/5 nœuds de vitesse. Pfffffouou … languissant…

Mardi 31 mai 2011
9h, rituel matinal: Luké presse mon jus de citron frais, servi dans un grand verre d’eau tiède. Coup de fouet assuré. Puis café. Servi au lit, avec tartines beurrées à chaud, les jours fastes. Il y a beaucoup de jours fastes. Ensuite, repos pendant au moins une heure, “pour que l’effet détoxifiant du jus de citron tiède soit maximum”. Comme indiqué dans l’article du magazine promettant une forme éblouissante au saut du lit. Vu ma forme au saut du lit, je suis le conseil à la lettre. Donc, lecture … Et puis c’est selon l’humeur… Après les ablutions matinales, ce sera lecture, scrabble, écriture ou scrabble, lecture, écriture. Ou… Choix restreint mais choix intéressant! Un dur moment quand même pour refaire le lit-sofa-canapé-lieu communautaire, et laver la cuisine. Tout se fait en équilibre, en tanguant, en serrant les fesses. Ce qui fait que la gym du jour est faite par la même occasion. Vers midi, pas d’interrogation spéciale: nous attaquons les dernières tomates, c’est salade. Et dans l’après-midi, entre deux légers assoupissements, une profonde réflexion quand au repas du soir. Luké scrute l’océan. Il est beau, cet océan Pacifique. Très beau. Mais très grand. très très grand. Et très long à traverser… Pourtant, nous savons que ce temps entre parenthèses, nous le regretterons ensuite, quand nous serons de retour dans “la vie normale” et que tous les emm… –soucis- vont nous tomber sur la tête pire que le ciel des Gaulois. Nous flottons hors du temps, juste reliés par un cordon ombilical en forme de téléphone pour l’essentiel, et ma foi, égoïstement, on profite de ces moments privilégiés.
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 Mercredi 1er juin 2011
Le mois de Marie est fini, vive le mois de Junon. Enfin, je crois. Il faudra que je vérifie mais ça me plait bien, le mois de Junon ! Aujourd’hui, nous passons la borne “mi-chemin” du parcours. Selon les vents, nous devrions arriver dans une dizaine de jours. Pas que selon les vents, en fait. Nous pourrions aller plus vite. Mais ce n’est pas une course, et à trop tirer sur un bateau, on finit mal… Pas question de casser quoi que ce soit, on veut un voyage cool, sans ennuis, avec arrivée glorieuse à Fatu Hiva. Et pas l’oreille en berne parce que il y aura eu un soucis par insouciance. Si j’ose dire ! Alors, doucement dans les montées, pas trop vite dans les descentes. Et on freine dans les virages ! On la chouchoute, la Belle. Le Capitaine  la couve comme une poule son poussin. Pour le reste, on s’en remet à la Bonne Mère pour avoir une bonne mer. Même en étant le plus prudent possible, personne n’est à l’abris d’un incident ou d’un accident …
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                        Admirons la cuisine au fil de fer: couvercle retenu par les poignées, elles-même accrochées au panier à fruits (lourd, le panier!) …
C’est, bien sûr, un soir de vent force 20 que Luké a la géniale idée de se lancer dans un petit bœuf Bourguignon au vin rouge… Après plusieurs essais de cocottes en Pyrex, ses préférées, mais hélas du genre “glissando et plus que troppo”, il lui faut se résoudre à cuire son œuvre dans un vulgaire faitout en inox. A peine plus stable en fait. D’où un échafaudage de l’extrême, histoire de ne pas se retrouver le bœuf sur les pattes. Une surveillance amoureuse de l’avancée des travaux et un régal au bout du compte …
 Jeudi 2 juin 2011
Et deux Coryphènes d’un coup. Avec deux cannes quand même. Il va falloir commencer à s’habituer à ne plus les appeler Coryphènes mais Mahi-Mahi, de leur nom Polynésien. On a la grillade de ce soir et Luké peut se préparer un stock de “Bonbons-poissons”.
Coryphène 2 juin
Ah, le “Bonbon-poisson” … Que de souvenirs … 1997, Belle Antille, notre goélette franche en acier de 17m (un monstre de tranquillité, un poids lourd de la mer, et un arrière-train tellement large que nous avons du giter deux ou trois fois en trois ans). Ces messieurs, Luké et Ben qui a alors 14 ans, sont amateurs de saveurs franches. Et de poissons. D’où l’idée de faire sécher des filets de poissons frais pêchés, découpés en cubes, passés sur des fils et pendouillant sous leur nez pendant la navigation: il ne reste plus qu’à arracher un bonbon de temps à autres et apprécier la saveur virile qui s’en dégage. Et avoir l’haleine fraiche, celle des vrais marins de la vraie mer !
P1010324                                                                    Etape 1: faire sécher les filets au soleil
 Nuit longue et agitée, réveils chaque 2h. L’AIS est branchée mais on se lève régulièrement. La mer est assez forte, et ça swingue pas mal …

Vendredi 3 juin 2011
Belle de Lune est toujours agitée. Elle saute allègrement sur les flots, ravie de faire des pointes à 11,5 nœuds … Nous, moins.
“Vitesse inconsidérée, chantier à l’arrivée”.
Les vagues oscillent entre, à vue de nez, trois à cinq mètres. Le vent est à plus de 21 nœuds, on se calme. Galilea a son safran arraché, pas la peine d’en ajouter un autre. Les déplacements sont difficiles en plus, et je n’aime pas m’inquiéter si il y a possibilité de faire autrement. Donc, on ralentit !!!!
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P1010333                                                                                       Ce qui ne trouble guère Luké dans sa lecture…
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                                                       Les futurs “Bonbons-poissons” ont été installés au vent, et il n’en manque pas, du vent !
J’en profite pour faire quelques rangement dans mes affaires, trier mon matériel de peinture, laver les pinceaux et tubes, de petites choses que je repoussais depuis un bon moment. Un petit cake banane-chocolat-coco pour le dessert. Et je me décide pour un roboratif plat bien de chez nous: saucisses-flageolets cuisinés. Accompagné de quinoa pour moi, Luké n’appréciant pas trop cette délicieuse céréale venue d’Amérique du Sud. Je fais revenir mes saucisses de Strasbourg “Made in Panama”, oignons, ail. Puis flageolets. Trop de mouvements pour manger dehors, nous nous installons dans le carré. Luké attaque avec férocité sa saucisse, qui lui échappe, glisse, se faufile sous les flageolets. “Mais qu’est-ce qu’elle a cette f…ue saucisse?” (En Anglais: fuckin’saussage!). Elle a … un préservatif ! Les Panaméens sont les seuls à mon avis (avec les Américains, jamais trop prudents ?) à protéger leurs saucisses deux fois, ceinture et bretelles: un package normal, genre saucisses “de chez nous”. Maaaaaaais… à l’intérieur, chaque saucisse est EN PLUS bien enserrée dans un manchon en plastique qu’il faut presser pour la faire jaillir (effet garanti) avant cuisson. J’avais oublié ce détail. Aussi, elles ne voulaient pas bien roussir, mes saucisses. Conclusion: le plastique Panaméen est solide, il n’a pas fondu, mais il est diablement résistant et il faudra recourir à une paire de pinces pour s’en sortir!
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Soirée visionnage de photos anciennes, une belle série de diapositives des vacances avec mes parents du temps de … mon adolescence. Pas d’hier. Revoir mon père dans son superbe maxi-maillot à rayures noires et blanches, l’air “plus Rital que moi tu meurs”, œil de velours et sourire carnassier, et ma mère en super-extra-mini robe vert pomme, juchée sur d’immenses sabots “Seventie’s” (tout ça lui allant à ravir, magnifique !) nous fait passer une bonne soirée … au milieu du Pacifique !

Samedi 4 juin 2011
Matinée ensoleillée. Comme les autres! Réveil avec mon jus de citron, mon café et mes tartines (beurrées à chaud!). Comme les autres. Rangement du “lit-sofa-salon de regroupement”. Lecture. Le rythme est pris, on pourrait presque continuer des semaines ainsi. Mais enfin, on sera quand même bien contents d’arriver !
Je finis “Manon Lescaut” de notre cher Abbé Prévot. Luké avait commencé cette lecture car il voulait connaitre l’histoire de “Manon, tu m’as trahi !”. Et aussi à cause de notre Manon, savoir si on la préfère en Manon Lescaut ou en Manon des Sources. Il a abandonné rapidement, trouvant le roman trop triste. Je dois reconnaitre que ce couple passionné qui se met tout seul dans les pires ennuis, cet homme qui sait qu’elle va toujours le trahir et qui l’accepte avec joie (elle est tellement jolie et sincère, car elle le sait aussi, qu’elle va le trahir mais tant pis, elle ne peut pas résister!) jusqu’à la déchéance complète. Jusqu’à ce que, au détour d’une page, quand il n’y a plus de solution envisageable, elle ait la bonne idée de mourir subitement. Comme ça, en quelques lignes : elle a froid aux mains, il pleure, elle pleure (ils pleurent beaucoup, beaucoup, beaucoup tout au long du roman), il lui baise les mains (toujours, on ne lit pas pire), les “baigne de larmes”. Et pouf, elle rend le dernier soupir. Remarquable initiative sinon on n’aurait jamais appris l’histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut ! La vie de l’Abbé Prévot, aussi, vaut son pesant de cacahuètes. A la fin du livre, sa biographie: il a été soldat, séminariste, Bénédictin, re-soldat, re-séminariste, Protestant (subitement!), en Hollande avec sa maitresse, re-séminariste (l’Eglise lui pardonne …), prêtre, aumônier à Paris (avec sa maitresse), et j’en passe… Et surtout auteur d’une quantité incroyable de romans (dont celui-ci, interdit pas la police à Paris l’année de sa parution), d’essais, de traductions, de livres historiques etc. Tous les chemins mènent à Rome …
Conclusion: notre Manon est une Manon des Sources, lumineuse et porteuse de joie de vivre !
Je joue au Scrabble avec Hal, l’ordinateur. Qui triche de façon éhontée, inventant des mots, comptant triple ou quadruple des lettres sans raison, tellement roublard qu’il se plante jusqu’à me compter des mots “A plus de 100 points”. Le mot! Apparait une petite lucarne “Bravo, ce mot vaut 106 points, faut-il avertir l’auteur?”. L’auteur du programme ? Oui. Et lui dire que son rejeton a pété les plombs.
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Si quelqu’un a rencontré déjà un “ORIYA”, ou acheté un “BAGUIO” dans un “QUIN”, j’avouerais alors que moi, je “JODLAIS” en faisant “KOT” !

Dimanche 5 juin 2011
Le temps s’étire langoureusement. Nous aussi. C’est fou ce qu’on s’habitue à, non pas ne rien faire, que nenni, mais faire ce qu’on a envie de faire, quand on en a envie et si on en a envie. La première semaine était celle de l’adaptation, la deuxième a été celle de la “profitation” (mon petit côté Ségo, je sais, j’assume). Après avoir râlé comme un pou contre le vent qui ne le satisfait jamais (et il faut dire qu’il a mis de la mauvaise volonté, c’est vrai), le Capitaine s’est zénifié et a découvert des plaisirs jusque là méconnus pour lui: glandouiller. regarder la mer, regarder le ciel, lire, jouer …. Ah, ah, ah. Je rigole bien parce que moi, je pratique depuis longtemps! Sauf regarder la mer pendant des heures: ça me stresse. Mais lire, jouer, écrire pour le plaisir, si, si.
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Et le célèbre et inépuisable “Jeu de la Carotte-coin-coin”. Jeanne a des crises à heures fixes (c’est à dire fixées par elle) et nous en profitons pour l’agiter un peu. Sinon, elle finira comme une grosse bouteille d’Orangina, dodue-ventrue.
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Luké entame même un apprentissage “Chien de cirque-option danse”. Mais Jeanne est un esprit indépendant. Elle ne fait que ce qu’elle veut, si elle le veut et quand elle le veut. Un peu comme ses maitres, non?
Pour achever cette semaine, notre, maintenant traditionnel “coin du Marin” :
 “Appel à tous, appel à tous, appel à tous !”.  Le Capitaine tient son journal de bord très sérieusement et communique à la communauté des lecteurs attentifs, les derniers exploits de Belle de Lune, fière unité attaquant le Pacifique de ses flotteurs décidés :
Cadence journalière entre 146 et 187 miles nautiques (1 mn = 1,851 km)
Cette semaine plus ventée augmente la cadence : 1186 miles parcourus (2150 km), 25% de plus que la semaine dernière.
Vitesse moyenne de 7,06 noeuds, pas mal pour un cata de croisière de 20 tonnes.
Pas mal non?






lundi 23 mai 2011

EN ROUTE POUR LES MARQUISES, Puerto Ayora, Galapagos le 23 mai 2011.

“On peut laver sa robe mais pas sa conscience”  (Proverbe Persan)
P1010257  Sculpture réaliste, et ode à la faune des Galápagos !
Lundi 23 mai 2011
Le départ, prévu pour lundi 23 mai, se fignole dès le samedi 21. Le Capitaine aimerait bien compléter au maximum la réserve de gas-oil, mieux vaut en avoir trop que pas assez. Oui, mais … L’administration Equatorienne-vampire impose – pour les bateaux de passage uniquement– un cinéma digne de la Russie Soviétique. Un, demander une autorisation d’achat à la Capitainerie. Deux, récupérer le formulaire signé et dûment tamponné (en échange de 30$ bien sûr) le lendemain. Trois, louer un taxi (8$) pour se rendre à  l’unique station service avec les bidons. Remplir les bidons. Ah, vu qu’on n’a pas toujours 36 bidons pour transférer le carburant: trois bis, louer les bidons avant ! Quatre, appeler un taxi aquatique pour ramener le tout au bateau. Cinq, les hisser sur le pont. Six, remplir les cuves. Sept, ramener les bidons avec un taxi … Bon, pourquoi pas... Ah, et le prix ? Et bien pour les touristes, c’est 5$ le gallon de gas-oil, plus 30$ “d’autorisation d’achat”, plus 8$ de taxi , plus… etc. Et pour les habitants des Galápagos ? C’est 1$ le gallon. D’où une propension compréhensible de la part des Galapagenos (et des navigateurs) a utiliser ce que je n’appellerai même pas un “marché noir” mais une œuvre de salut public: comment ne plus se laisser plumer par une administration qui ne pense qu’à saigner les touristes (et, désolée de devoir l’écrire, mais se fiche pas mal de la conservation du lieu unique que sont les Galápagos, l’objectif étant de choisir ce qui rapporte le plus, le plus vite, en faisant un minimum pour que l’archipel ne soit pas détruit trop vite, ce qui aurait pour conséquence un engloutissement d’une source de revenus substantielle mais non allouée aux habitants des iles). Recommandation expresse de l’agent (qui s’occupe des tampons et autorisations pour acheter le carburant, aussi): ne pas répondre au chant des sirènes proposant du gas-oil à bon prix, la Navy (oui, c’est l’Equateur mais ça s’appelle la Navy) surveille de très très très prés (ben tiens…) et les amendes sont féroces. Nous jurons bien fort que non, jamais au grand jamais… Mais on sait bien que jurer c’est pas beau, et ça ne compte pas. Notre sirène va s’appeler “Pepito”. Le prénom a été changé par la rédaction par soucis de discrétion: on ne sait jamais, des fois que mon journal ait tellement de succès que même la Navy de Puerto Ayora le lise, pas question de mettre ce brave homme dans les ennuis! Avec son beau taxi aquatique jaune (ils sont tous jaunes, là, pas de soucis) il est venu avec un ami proposer ses services pour gratter les coques de Belle de Lune, le séjour dans les eaux sales du port ayant permis à de nouvelles colonies de coquillages de s’installer et les dépôts mazouteux gluants ayant bien collé le tout.  Bref, un nettoyage féroce est une nécessité absolue si on veut avancer dans le Pacifique. Tellement féroce qu’on les paiera plus que ce qu’ils ont demandé. Mais ils sont courageux et le boulot est bien fait, alors… Ils ne roulent pas sur l’or, les habitants des Galápagos, c’est le moins qu’on puisse dire (sauf les hôtels; et surtout les agences de voyage obligatoires et reconnues, donc qui doivent bien payer quelqu’un pour avoir le droit de travailler). Avec un ami, Pépito va passer des heures dans une eau fraiche à gratter nos coquillages. Il nous glisse que, si par hasard, on avait besoin de gas-oil… et pas le temps de… hum… faire les papiers… et bien, lui il nous le propose à 5$ le gallon, tout compris, livré en bidons au cata. Vu les risques qu’il court (et nous aussi, mais lui c’est sa License qui risque de sauter, avec un peu de prison à la clef, car chiper des sous à l’état, c’est quand même pire que de tuer un quidam quelconque), les 4$ qu’il va gagner par gallon ne sont pas immérités. Enfin, la loi est la loi, donc si on décide de la contourner, on sait ce qu’on fait. OK. Livraison assurée le lendemain. Ce qui est dit est fait, juste sous le nez de la Navy (Pépito n’est pas très observateur, Luké les voyait tourner depuis un moment à recenser les bateaux qui n’avaient pas payé le droit d’ancrer) et avec un bol de sueurs froides. On n’est pas fait pour ce genre de choses. C’est bête, j’aimerai bien avoir une âme de bandita.
42-ancrage et bdl2 Belle de Lune à l’ancre, devant le front de mer de Puerto Ayora.
Après le carburant (ouf!), les aliments. Plus simple, il y a un et un seul petit supermarché, mais très bien achalandé, prix très corrects bien que, parait-il bien plus cher que sur le continent Equatorien. Selon les produits, les prix sont effet très disparates. Comme d’habitude, je tombe dans les produits locaux à essayer ! Luké me dissuade en ce qui concerne les différentes sortes de haricots et de pois secs, tailles, couleurs et formes des plus pittoresques. Noms totalement inconnus. C’est fou ce qu’il peut exister comme haricots secs en Amérique du sud. Je n’en reviens pas (et non, je ne serai jamais blasée, du moins je l’espère! ). Mais le malheureux a déjà eu droit aux gros pois verts de Panama, et s’en souvient encore. Dommage. Des expériences culinaires qui auraient pu être passionnantes… Je me rabats sur le fromage local, un Queso Blanco Galapeno (pas galopin pour deux sous, un sage bien mou), il choisit un fromage Andino genre tomme. Et nous tombons en arrêt tous les deux, la patte en l’air, devant un Brie, fabriqué en Equateur, de bonne facture. Je ne résiste pas au vinaigre de banane. Et bien sûr, mon dernier paquet (quoique…) de frites de yucca pour l’apéritif. Je regonfle mon stock de quinoa (miam), de chocolat noir (en évitant les chocolats de Noël toujours en rayon) et croyant faire provision de yaourts natures, me retrouve avec des boissons au lait d’avoine. Depuis Panama, les rayons des supermarchés sont remplis de produits à base d’avoine, lait d’avoine, son d’avoine, ainsi que lin, graines de lin, Steevia, et j’en passe, et tout est enrichi en vitamines de A à Z, en Oméga 3 (4, 5 et plus), en fer surtout mais aussi en zinc, etc.. Bref, d’un côté, une nourriture à base de fritures, de sucre et de féculents, de l’autre, de quoi éradiquer sainement le cholestérol rampant et le diabète sournois  qui en résultent grâce à une dose massive de graines de lin sur les beignets. Moi, j’aime bien les graines de lin dans la salade.
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Départ à 7h, après le café. On a omis de se déclarer à l’immigration (toujours ça que l’administration n’aura pas ! GRRRRR…) en arrivant, donc on ne dit rien en partant et on file au vent. Enfin, au moteur !
J’ai une pensée émue pour mes otaries … C’est très attachant ces petites bêtes, espiègles, un tantinet profiteuses, parfois un peu agitées mais quel rêve cela a été pour moi de les côtoyer, les observer, les admirer. Je n’oublie pas non plus les tortues géantes, et Georges le Solitaire,  qui se terraient dans un recoin de mon cerveau depuis mon bac d’Anglais (Thème: “The tortoises of the Galápagos”, déjà, j’étais sur la piste!), les lézards-iguanes de Darwin (Tiens, j‘ai cherché des photos d’iguanes, et bien, ils ont cinq doigts aux pattes arrières, or, les iguanes marins en ont trois, ah ah ?). Sans oublier non plus que, familiers ou pas, ce sont des animaux sauvages, avec de bonnes dents, imprévisibles, qui sont là parce qu’ils y trouvent de l’intérêt et s’en vont quand ils n’en ont plus. La grande erreur serait de les prendre pour des “mascotas” comme disent les Equatoriens, des animaux de compagnie !
                  Merci Joséphine, Merci Léon le grognon, merci les otaries inconnues qui passaient par là …
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La journée s’étire doucement. Temps superbe, vent à l’avenant ! Et oui, ENFIN !!!! Le vent souffle dans nos voiles, la Belle s’envole à plus de 8 nœuds de moyenne, un vrai plaisir. La mer est calme. nous longeons Isabela et les ilots. Journée détente, lecture, sieste.
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J’ai mon otarie à poils longs personnelle. Qui ne me lâche pas d’un coussinet. Au moins je sais toujours où elle est. Rassurant car dans l’après-midi, nous croisons un couple de requins, enfin, un couple d’ailerons qui passent le long du cata. En silence. Je sais, le cri du requin n’est pas très connu, mais comparé aux ébrouements joyeux des dauphins quand ils s’approchent, ces deux-là étaient un tantinet sinistres.

Mardi 24 mai 2011
Nuit agitée. L’AIS installé, personne à l’horizon, on se repose. Minuit trente. Un piou-piou furieux annonce que la trajectoire n’est plus celle prévue par l’ordinateur et que Fermin (en territoire de langue Espagnole, Firmin, petit nom de notre pilote automatique devient Fermin, prononcer bien sûr “Ferrrrrminn”) le pilote automatique râle. J’aperçois une lumière verte clignotante juste derrière nous. Un sous marin ? Un OVNI  ? C’est la même lumière que nous avions suivie des yeux pendant la traversée de Panama aux Galápagos, une nuit, et qui se trouvait à côté de Tahaa Tiva. Christian ne la voyait pas et n’a jamais voulu nous croire … Et bien, là, on la voit et de près. C’est la bouée d’une “Long Line”, une ligne de pêche intensive d’un kilomètre de long avec plus de mille hameçons dessus. “Moins pire” qu’un filet flottant pour la faune mais pas terrible non plus. En attendant, le propriétaire a pêché un cata de vingt et quelques tonnes, belle prise. Ou dois-je soupçonner Luké d’avoir tenté de pêcher d’un seul coup mille poissons ? Prétentieux, va… Que faire ? La ligne s’est prise dans les deux hélices, et nous a simplement bloqué. Notre allure était modérée – la nuit, on ralentit-, donc pas de soucis pour le moment. Mais si le vent se lève et que ça force ? Il faut se dégager de ce piège. Luké tombe les voiles. Cas de conscience : c’est un outil de travail pour les pêcheurs. Mais nous, c’est notre maison et peut-être notre vie. Si la ligne, devenue lourde, si le vent, devenu fort, font que le poids tire trop, il y a un risque que les hélices s’arrachent et qu’une voie d’eau se fasse. Un risque que nous ne prendront pas. Tant pis. A une heure du matin, armés du crochet et du couteau à pain (depuis que Ben a plongé de nuit à Sainte Lucie pour nous dégager d’un cordage pris dans l’hélice, nous savons que le meilleur couteau dans ce cas est le couteau à pain de Mouni!), bien sanglé pour éviter toute chute intempestive à la mer, nous coupons le cordage qui nous relie à la bouée, et à la ligne. Enfin, Luké, à quatre pattes sur la jupe arrière, cisaille. Et nous libère. Pas de dommage, on repart doucement dans le vent de la nuit. Avec une pensée pour notre ami Dominique Sérafini qui milite contre la pêche intensive et aurait applaudi certainement.
05-24-3lecture Journée mitigée, le vent est capricieux et les vagues aussi : la célèbre longue houle du Pacifique s’installe, pas désagréable. Ce soir, gâteau banane –le stock commence à mûrir- filet de boeuf-pommes sautées pour Monsieur et riz complet pour Madame dont l’estomac est encore fragile.
Avant de se coucher, nous admirons la fameuse “Milky Way” dont les marins qui traversent parlent tant. La nuit, le plancton remontant des fonds froids s’illumine dès qu’on le heurte. Et le sillage des bateaux devient une trainée laiteuse et phosphorescente. Magnifique.

 Mercredi 25 mai
Nuit peuplée ! Et oui, les nuits se succèdent et ne se ressemblent pas. Une chance. J’ai lu et veillé jusqu’à 11h. Mer calme, nuit silencieuse. A 1h du matin, j’entends une discussion. “!?!”…  Luké papote avec le capitaine d’un chalut qui passe! Quelques échanges de civilités “Es de Panama?”, “ No, soy de Ecuador, y tu?”, “Soy un velero Frances con mi esposa”,  “Buenas noches, amigos”. Et le calme revient. Jusqu’au suivant une heure après. Qui passe et se dirige vers l’Equateur lui aussi. Vers 4h, il me semble apercevoir une lueur sur l’horizon. Mais je me méfie, je connais ma tendance à prendre les étoiles pour des lumières de bateaux. Sinon, on est tombé sur le seul nid de chalut du coin qui rentre à la maison.
Réveil à 9h. Enfin, la pendule indique 9h. Nous suivons les consignes du GPS et avançons les aiguilles au fur et à mesure. Mais même d’une heure ou deux, ça perturbe. Le soir, nous trouvions que les jours s’allongeaient. Ah, ah, elle est bien bonne… Le soleil au niveau de l’équateur est réglé comme du papier à musique: lever 6h du matin, coucher à 6h du soir. Enfin, selon le lieu cela peut être officiellement 7h! Nous étions entrain d’inventer l’heure d’été sur Pacifique. Bon, les choses sont rentrées dans l’ordre. bien qu’en vérité on s’en fiche un peu. Et Jeanne est contente car les croquettes arrivent plus tôt.
Le capitaine ne peut résister à une petite grillade de poisson frais. Il jette sa canne. S’allonge et s’endort. Et un beau thon bleu s’accroche pour le repas du soir. Simple non, la pêche, ici ?
    05-24-2 Thon bleu

Jeudi 26 mai 2011
Le vent tombe, le vent revient, le vent s’arrête… Le Capitaine tourne les voiles, affine le jeu, râle, injurie Eole. Une partie de la journée s’est déjà écoulée. On avance, certes pas au rythme d’enfer espéré mais on avance au moins tranquillement ! Et à choisir… Rencontre furtive d’une tortue Luth flottant entre deux eaux. Le temps ralentit … J’ai fini de lire “Le pacte des Assassins” de Max Gallo. Ce membre éminent de l’Académie Française a produit une liste de bouquins impressionnante, allant des documentaires aux livres historiques en passant par des biographies et même un conte pour enfant. Je fus impressionnée, moi qui n’avait jamais rien lu de cet auteur. Le grand intérêt des “échanges de livres” entre bateaux est qu’on ne choisit ses lectures que de façon très restreinte voire pas du tout. Si on a 3 livres à échanger, et bien on prend les 3 de l’autre sans rechigner, sauf si on les a déjà  lu ou si c’est un Guy des Cars. J’ai ainsi hérité du Gallo. Historique, indéniable, certainement véridique, mais peut-être un peu trop pilonnage sur le communisme de Staline qui n’a pas besoin de ça pour être mort et enterré (et le Communisme Stalinien et Staline). Le rapprochement (de l’auteur et hélas de la réalité historique) entre le fascisme et le communisme soviétique met mal à l’aise. Bon, Gallo est un Gaulliste pur jus, bien pressé, ce n’est pourtant pas ça qui a fait que je n’ai pas trop accroché sauf aux faits historiques. Tous pourris les politiques, les hommes de pouvoir, d’accord, mais là ça atteint des sommets nauséeux… Pour me remonter je suis plongée depuis dans “L’histoire de Pi”, savoureuse fable romancée sur le périple d’un adolescent rescapé du naufrage d’un cargo, dérivant pendant 300 jours dans un canot de sauvetage avec Richard Parker, un magnifique Tigre du Bengale venant du zoo de son père. Peut-être pas les circonstances idéales pour lire une histoire de naufrage mais il y a un tel optimisme, une telle fraicheur et une bonne dose d’humour qu’après les horreurs inimaginables que relate Gallo, et bien, ça requinque ! Et puis moi, dès qu’il y a une histoire de bestioles, je craque. Luké a aimé aussi, un tigre en bateau, ce n’est pas courant.
Parlant bestioles, après la pluie de calmars sur le pont, nous avons eu l’attaque en règle des poissons volants. Il s’en est abattu toute une garnison sur les trampolines. Le soir, au moment où je me trouvais dans la salle de bain, hublot ouvert, une énorme libellule a jailli de la nuit. Un boucan pire qu’Evinrude, la libellule de “Bernard et Bianca”. Une libellule en pleine mer ? J’ai vite compris quand j’ai vu la pluie d’écailles irisées voler autour de moi. Et senti l’odeur de la sardine. En plein Pacifique, il y a UN hublot de 40cM par 20cm d’ouvert, et c’est par là que le demeuré du groupe a décidé de passer pour aller de l’autre côté du cata. C’est bien ma chance, j’ai remis délicatement l’idiot du village à l’eau, les ailes frémissantes et la gueule en biais, et nettoyé la salle de bain au vinaigre. Pour l’odeur.

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Le soir, ce sera crevettes Thaï au lait de coco et curry vert. doux et piquant. Sur lit de coquillettes parce que la Capitaine commence à regarder le riz d’un sale œil.

Vendredi 27 mai 2011
“JOYEUX ANNIVERSAIRE, BEN!”. Il y a 28 ans, je produisais ma plus belle œuvre. Oui, je peux le dire sans crainte. Avec beaucoup de défauts pour compenser de grandes qualités. Ouf! Sinon, comme dit si bien mon père, on aurait pu le mettre sous cloche, ce qui serait dommage. Un petit garçon qui ressemblait au Petit Prince, puis un garçon qui préférait Donald le gaffeur à Mickey le bon modèle et gendre idéal. Déjà, nous aurions du nous douter que sa personnalité ne serait pas dans le style d’une “occupation bourgeoise de la famille” comme on “occupe bourgeoisement” un appartement en location. Il n’occupe d’ailleurs rien bourgeoisement, travaille au Vietnam dans le côté artistique des jeux vidéos (qu’il déteste bien sûr, ce serait trop facile) et frétille comme un nem bien croustillant depuis qu’il campe en appart-hôtel à Saigon. Après avoir donné à Emmaüs tout ce qu’il y avait acheté pour s’installer en France 4 ans avant. Mais d’où lui vient cette bougeotte et ce besoin de vivre à l’étranger?
P1010288 Pour fêter ça, Paëlla. Mais pas n’importe quelle Paëlla: Paëlla acrobatique! Bien sûr tout a commencé au moment où je faisais  roussir oignons et ail, bien campée devant la cuisinière. Le vent a forci d’un coup, la vitesse aussi et la Belle a commencé a s’agiter en tous sens. Voilà : le Cirque Pinder était dans nos murs. Avec l’acrobate vedette de la troupe, celle qui d’une main blondit le riz, de l’autre prépare le bouillon aux épices, de la troisième retient la poêle qui a une furieuse envie de se faire la Belle (ah, et oui, il y a un moment que je ne m’étais pas laissé aller…) avec le riz et le poulet, compagnons de fugue. Et d’une quatrième main experte fait sauter les crevettes qui viendront couronner ce plat transpacifique de belle facture. Parlant facture, le prix sera, le lendemain, de l’huile un peu partout autour de la gazinière. Luké a nettoyé sans râler car la ventrée de délicieuse Paëlla (même si elle ne valait pas celle de ma maman ni celle de notre amie Marie-Jo, experte par hérédité) lui a laissé un souvenir ému.
La nuit a été agitée. Pourquoi toujours les nuits ? Le vent s’est levé vers 9h avec des pointes à 30 nœuds. La Belle agitait prestement son popotin de vague en vague, avec des retombées un peu lourdes dues à une surcharge pondérale certaine. Luké a dormi sur le pont par bribes de 20mn, passant son temps à arranger les voiles, tirer sur les cordages, ajuster le pilote. Une saine occupation de capitaine. Heureusement, je me suis réveillée fraiche comme une truite à 2H30 pour finir “L’histoire de Pi” et il a pu se coucher!
La journée s’est déroulée sur le même mode mais en mineur. Le vent ne fait plus que 19 à 21 nœuds et la Belle frétille du croupion à 6, 7 voire 8 nœuds dans les envolées. Ce qui donne une sensation de saute-moutons assez peu agréable, associée à un bruit infernal de vent, vagues , de cordages qui claquent et de craquements sinistres du bateau. Après “Belle Antille” en acier (très) lourd, j’ai eu du mal à me faire aux gémissements tout à fait normaux des bateaux en bois !!! Si je ne savais pas que les coques ont plus de deux centimètres d’épaisseur, conférant à notre grosse dondon une sécurité indéniable, je me ferais du soucis. Je pense à certains voiliers de ma connaissance où le plastique est si fin qu’à contre-jour on peut voir les ombres des occupants à l’intérieur…

Samedi 28 mai
Journée splendide. D’abord, le confort est devenu idéal. La Belle glisse harmonieusement sur la Pacifique, en souplesse, laissant un beau sillage d’écume s’étirer derrière elle. Le tangage est modéré, sans à-coups, le vent oscille entre 15 et 20 nœuds, et nous filons entre 8 et 10 nœuds de vitesse. Autant dire que le Capitaine, vu le poids de son destrier, est content de la performance ! De joie, il ne se tient plus et décide de jeter sa canne à l’eau. Enfin, juste la ligne et l’hameçon. Quelques minutes après, une belle Coryphène mâle, une de celles qui ont volé les couleurs de l’arc-en-ciel, a croqué le beau rapala “Poulpito” (un truc à la fois hideux et superbe, une sorte de poulpe en caoutchouc tout mou, tremblant, couleur rose fluo: à se demander si les poissons voient les couleurs, car un poulpe rose fluo, même après Tchernobyl…). Ramené prestement sur la jupe arrière, le  Capitaine appelle la photographe officielle. Cadrage de la belle prise. “Plus haut, qu’on voit bien comme elle est belle”. Plus haut, plus haut… Et hop, un coup de queue plus fort que les autres et il s’est fait, lui, vraiment, la belle! On l’admire et le remercie pour la photo. Il mérite de vivre, l’animal!
DSCF6812 Un peu plus d’un mètre, jolie prise… mais pas pour nous !
P1010295  Ensuite, notre pêcheur prendra trois jeunes Coryphènes, remise à l’eau après photo souvenir.
P1010296  En espérant que ça leur serve de leçon, la prochaine qu’elles verront un Poulpito Rose fluo se balader en pleine océan, elles se méfieront!
Pour se changer les idées, Luké prépare un magnifique pain. Bien gonflé, aéré, un délice. Ce soir, œufs au plat pour se lécher les babines et les doigts…

Dimanche 29 mai 2011
Jour de la fête des mères en France. C’est ce que j’ai calculé. Au Panama, c’était il y a 15 jours. Au Vietnam, c’était début mai (j’ai reçu un mail de Ben me le souhaitant “en retard” ? Bon, en retard pour le Vietnam mais en avance pour la France!). Je sais que c’est le dimanche entourant son anniversaire. Donc, on envoie les mails à nos mères ! Et j’en reçois un de Saigon. Tout le monde est content: merci Inmarsat, ce téléphone est une merveille! Grâce à ce nouveau téléphone satellite, nous sommes en contact avec la famille, très important, et pour eux et pour nous. Et aussi avec les bateaux qui voyagent en même temps que nous. Pour le moral, ça fait un bien fou de recevoir de petits mots de l’un ou l’autre, de savoir qu’ils sont par là, si ce n’est très près, pas trop loin ! Hier, nous avons ainsi reçu un mail de Galilea, un cata avec un jeune couple et deux fillettes. Leur safran s’est cassé, ils ont du mal à garder le cap. Nous avons eu ce problème il y a quelques temps, et Luké lui conseille ce que nous faisions: se servir du moteur de l’autre coque pour appuyer le cap. Il n’y pas de voie d’eau et c’est l’essentiel. Nous nous sommes fait un peu de soucis au début. Kappa, cata de course est très en avant. Tahaa Tiva est plus près mais plus lent. Nous sommes plus rapide mais nous sommes partis largement les derniers. Ouf, bonnes nouvelles, pas de danger pour la petite famille. On souffle. Sieste pour tous.
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Et préparation du … couscous spécial “Fête des Mères” ! Plat national en France selon les sondages, et plat de fête en particulier dans la famille. Oui, j’entends déjà… Mais ils ne pensent qu’à braffralouner sur ce cata ! Non, non. Mais les nourritures terrestres occupent une part non négligeable de notre quotidien. Avec bien sûr les nourritures spirituelles, cela va sans dire. Mais bon… On aime bien manger et manger bien ! Et puis, il faut aussi l’avouer, flottant au milieu du Pacifique pour au moins 15 à 20 jours, ça occupe ! Pas de grivoiseries, s’il vous plait, des enfants peuvent nous lire. Donc, Couscous Poulet. Oui, mais. Pas vraiment de légumes chez l’épicier ce matin. Ce sera Couscous poulet-carottes-poivrons-pommes de terre. Un pur délice car le Raz-el-hanout, c’est celui que mon beau-frère Georges est allé nous chercher spécialement au Marché Arabe de Montpellier, le meilleur marché bien sûr ! Merci Georges !
Ce soir, fin de la première semaine “TRANSPACIFIQUE”. Sacrifions au rite du Journal Maritime avec quelques chiffres qui ne diront absolument rien à ceux qui ne s’intéressent pas aux côtés techniques de la navigation, mais qui vont emplir d’aise le marin qui sommeille au fond de certains de mes lecteurs.
Problème:
Cadence journalière entre 130 et 175 miles nautiques ( un mile nautique =1,851 km)
Moyenne de la semaine 148,5 miles, soit 6,18 nœuds à l’heure.
Distance parcourue de 891 miles soit 1649 km; plus que la France…
Questions:
1) Combien de temps faudrait-il à Belle de Lune pour aller de Palavas, son port d’attache (c’est elle…) à Paris, en passant par l’autoroute (vu sa largeur, c’est mieux) ?
2) Belle de Lune pourrait-elle courir le Tour de France ?
3) Connaissant la vitesse sidérante (du verbe sidérer, “pétrifier d’étonnement”) de Belle de Lune, son parcours et la distance parcourue en une semaine, calculez le degré de plaisir que le Capitaine et son vaillant équipage a ressenti en voguant sur les flots saphirs du Pacifique ?



jeudi 19 mai 2011

LEZARD OU IGUANE ? L’Amblyrhynchus Cristatus des Galapagos, le 20 mai 2011

“Si le merle chante en mai c’est qu’avril est fini” (Anonyme)

 

37-iguane1 “Cette espèce (…) a été décrite par M.Bell , qui, en voyant sa tête large et courte, et ses fortes griffes d’égale longueur, a prédit que ses habitudes devaient être toutes particulières et devaient différer beaucoup de celles de son parent le plus rapproché, l’iguane”. Ah, bon, ben v’la  aut’ chose. Ma bible Darwinienne pose un crucial problème: l’iguane marin des Galapagos est-il un iguane ou un lézard ? Darwin s’est-il planté? Ou a-t-il changé d’avis et ne m’a rien dit? Bon, en attendant, je continuerai à l’appeler Iguane, c’est quand même plus chic que lézard. Et ça fait moins commun.

 

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On le rencontre un peu partout près de la côté. Sur les pontons, sur le bord du chemin, sur les rochers. Seul souvent, en groupe parfois, genre harem je suppose car il a la réputation de se montrer agressif avec ses congénères. Il essaie d’avoir l’air méchant quand on s’approche, mais il ne fait pas illusion, ce n’est pas un vrai méchant !

P1000916                                                                                                         “Approche un peu si tu l’oses…”

 

 

P1010079 Il n’a pas aimé, mais il n’a pas bougé !

 

P1010080 Belle crête, non?

 

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Séquence observation: cinq doigts aux mains, trois doigts aux pieds !

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C’est sur ce beau portrait du bel Ambly, une vieille connaissance –quelques milliers d’années- que le journal de Belle de Lune va se mettre en vacances pour quelques semaines. Demain, la Belle lève l’ancre pour la grande traversée. Celle qui va nous amener des Galapagos à Futu Hiva, la plus au sud des iles des Marquises. Encore un petit paradis à découvrir d’après nos renseignements … Deux, trois ou quatre semaines de navigation, selon le vent et notre humeur (moteurs ? Pas moteurs ?). Et ensuite, plages, poissons multicolores et villages à découvrir. Les cocotiers sont-ils connectés au Web là-bas ? A quel moment pourrons-nous envoyer un nouvel article de voyage ? Patience aux lecteurs. Dès que possible, c’est sûr … bien que le possible soit encore un mystère ! Un mois, deux mois ?

Ah, un dernier mot avant un (court) temps de silence: Je sais par mes renseignements non généraux qu’un nombre grandissant de lecteurs suit notre périple. Et j’en suis fort aise! Mais… que j’aimerais avoir des commentaires dans le Journal ! En plus des mails persos, bien sûrs ! Oui, je sais, je suis exigeante. Mais avec des lecteurs de la qualité des miens, rien n’est impossible (un peu de gratouillis dans le dos n’a jamais fait de mal…) ! J’ai appris le sens du poil aux Galapagos…

Merci à vous de faire le plaisir de partager nos intense moments d’émotions…

HASTA LUEGO !!!

samedi 14 mai 2011

DU “BEAGLE” A LA FONDATION DARWIN, Galapagos, Santa Cruz le 15 mai 2011.

“Iuventus stultorum magister” …( La jeunesse est le professeur des fous ). Proverbe Latin.

 

2-Lonesome George

A tout seigneur, tout honneur : tapis rouge pour Lonesome George, la tortue quand même, la plus célèbre au monde ! Découverte en 1971 sur l’ile Pinta, Georges est LA star de l’archipel. L’unique. Le seul représentant connu (et ils ont fouillé depuis, les naturalistes!) de l’espèce “Geochelone abingdoni nigra”. en toute simplicité. 

Les tortues géantes, dont il existait au moins quinze populations distinctes, vivaient paisiblement par troupeaux de plusieurs centaines d’individus. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les marins les ont décimées, viande abondante sans se fatiguer à courir derrière le gibier, et introduction d’espèces comme les chèvres qui ont détruit la végétation nécessaire à l’habitat de ces tortues volumineuses. Une chance que Thomas de Berlanga n’ait découvert l’archipel qu’en 1535, si il était tombé dessus avant, des tortues, il n’y en aurait plus du tout!

George est comme un coq en pâte dans la réserve : tout est organisé sur son bien-être dans le but –avoué- de l’amener à procréer et ainsi continuer l’espèce …  En comparant l’ADN de George ainsi que de six autres tortues de la même sous-espèce, décédées sur l’île voisine d’Isabela, l’une d’elles s’est avérée être une cousine de George, pas tout à faire pareille … mais pas tout à fait une autre. Les chercheurs ne reculant devant aucun sacrifice sont en train d’analyser  l’ADN des quelque 1000 exemplaires de la sous-espèce G.Becki vivant en liberté sur l’île d’Isabella et enter de découvrir une femelle dont les deux parents seraient issus de l’île de Pinta ! quand on aime, on ne compte pas. Tâche ardue quand on connait la capacité des tortues à se fondre dans les décors… Et en attendant, pour qu’il ne perde pas la patte (et le reste) deux fringante jeunes filles lui tiennent compagnies, jouant de la carapace, la démarche la plus sexy possible. Hélas, Georges souffre semble-t-il d’une libido morose. Pourtant, d’après un article du “Times” de 2009, il “semblerait un peu plus animé”, et comme ils l’ont si bien écrit “a little bit more active”. Bref, il avait regardé les DEUX femelles avec UN œil concupiscent. Depuis, il se prépare.

Tout n’est pas perdu, on a encore du temps: en très bonne santé pour son âge supposé de 80 à 100 ans, son espérance de vie estimée entre 150 et 200 ans, il peut encore faire des flammes !

En 1831, Charles Darwin, jeune naturaliste de vingt-deux ans, embarque sur le “Beagle” pour un tour du monde cinq ans. C’est en particulier à partir de ses observations et des notes prises pendant le séjour dans l’archipel des Galapagos, qu’il sera amené à formuler sa fameuse théorie de l’origine des espèces…

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La Fondation Darwin, un grand jardin serpentant dans la nature avec quelques enclos où l’on entre  librement (bien fermer la porte derrière soi…), un Centre de Recherches, la sempiternelle boutique de souvenirs (qui n’a pas sa casquette avec une tortue brodée dessus? Moi. J’ai horreur des casquettes). Et le kiosque à glaces et Coca-Cola. C’est aussi l’accès à une petite plage charmante et des plus populaires, occupée aussi bien par les habitants de Puerto Ayora que par les iguanes marins.

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Luké a le feeling avec les tortues, pas de doute. Il suffit qu’il tende la main et en retour, il reçoit un long regard langoureux, un regard qui vient du fond des temps. Oui, c’est un reptile, mais qu’est-ce qu’il est sympa ce reptile-là !

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Elle a quand même un bec impressionnant, la fifille (j’ai vérifié, c’est une fille).

8-incubation

Parlant sexe. La méthode de sélection des sexes est infaillible chez les tortues. La période d’incubation est de 120 à 150 jours. Si les œufs sont incubés à 29°5, il en sortira des femelles. Si les œufs sont incubés à 28°, il en sortira des mâles! Simple, non ? Et à 30°? Des œufs mollets.

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La nursery donne une idée du temps qu’il faut pour qu’une tortue deviennent adulte. Quand on sait le peu de temps qu’il faut pour les détruire. Je ne dirais pas que la nursery était égaillée de bébé tortues courant en tout sens, ce serait exagéré. Mais par rapport à leurs parents, elles s’agitaient pas mal, les petites. Enfin, elle bougeaient un peu, quoi.

 

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L’autre grande vedette des Galapagos, c’est le fameux Amblyrhyachus Demarlii. En clair, l’Iguane Terrestre ! Une beauté dans sa laideur. Grand, jusqu’à un mètre de long, dodu (il passe sont temps à manger et à dormir, on sait bien que ce n’est pas bon pour la ligne) et, pour ceux que nous avons vu à Darwin, d’une magnifique couleur beige et dorée. Sans oublier sa magnifique crête dite “A la punk”, une mode qui a toujours court ici, c’est vrai que l’évolution, n’est-ce pas…. “Ces lézards cuits ont la chair très blanche. C’est un mets fort apprécié de ceux dont l’estomac plane au-dessus de tous les préjugés” (Darwin in “Voyage d’un naturaliste autour du monde”). Il n’y a donc pas que les Iguanes qui ne pensent qu’à manger.

“Pour terminer la description de l’histoire naturelle de ces iles, je dirai quelques mots sur le défaut de timidité des oiseaux”. toujours Darwin. S’en suit une longue description sur le plaisir qu’éprouvent les marins “Les matelots, errant dans les bois à la recherche des tortues, semblent se faire une fête de tuer les petits oiseaux”. Les descendant ne sont pas rancuniers et continuent à considérer l’homme comme une sorte de partie du paysage, que l’on peut parfois utiliser à des fins domestiques… Par exemple, pour recueillir de quoi rendre son nid plus douillet…

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“Tiens, un nouveau revêtement a été livré à la fondation!”… “Mais c’est qu’il y en a tout un stock” … “ Eh, les potes, venez vite, soldes de printemps!”

 

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Et au détour d’un branche, que vois-je ? Un moineau. Oui, un moineau mais LE moineau, celui qui a inspiré de pages et des pages à Darwin, le Geospiza Magnirostris lui-même! Bon, comme ça, ça ne dit pas grand chose. Mais j’ai bien étudié mon bouquin et c’est d’aprsè les becs des différents Geospizas, ave des groupes, des sous-groupes, peut-être même des groupuscules, qu’il a commencé à entrevoir sa théorie de l’évolution. Balèze non? Il a suffit d’un bec de piaf …

Et si lui “s’était procuré vingt-six espèces d’oiseaux terrestres” (et je ne veux pas savoir comment), moi, j’en ai au moins photographié deux !

 9-oiseau moqueurDont l’oiseau-moqueur, qui est d’une insolence certaine. Avec des soucis de famille comme un tout un chacun. J’ai assisté, à un mètre de mes pieds, à la désolante scène d’un ado mal élevé et de parents ayant visiblement baissé les ailes. 

 

 

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                                                                         “Mais qui m’a fichu des parents pareils ? J’ai faiiiiiiiim, moi!!!!!! “

5-Psammophis Temminckii du Chili

Autre rencontre glissante et frémissante, mais très rapide, un Tsammophis Temminckii du Chili. Charles en glisse un mot mais ne dit rien quand à son éventuelle venimosité. D’un autre côté, il a filé comme une flèche quand il nous a vus. On doit être à priori bien plus dangereux que lui.

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Merci à Charles Darwin pour son aimable contribution à cet article. Sans son livre “Voyage d’un naturaliste autour du monde”, c’est sûr que j’aurais été bien embêtée !