mardi 31 mai 2011

UN VOILIER AU MILIEU DU PACIFIQUE, entre deux vagues, le 30 mai 2011

“Le marin se distingue par son aptitude à pratiquer la sieste à toute heure, en tous lieux, par tous les temps. Car ce qui est pris n'est plus à prendre.”                                                                                                                                                                         (Henri Monier)
 Lundi 30 mai 2011
Premier jour de la deuxième semaine de navigation. Je suis toujours incroyablement sereine. Après l’Atlantique que j’avais exécré (si, si, exécrée!!!), le Pacifique est MON océan. Enfin, celui que j’ai choisi ! Sur lequel j’ai vraiment décidé d’être bien. Il a décidé d’être gentil en plus, et malgré quelques jours un peu … épiques, jamais vraiment agressif. Ce qui vaut mieux car on ne voit pas encore le bout du tunnel: nous avons fait un grand pas en avant (nous n’étions pas au bord du gouffre) mais même si tous les chemins mènent en Polynésie (et rien n’est sûr), ils y mènent lentement…
Encore plus lentement que prévu parce que ce matin, je me suis rendue compte que mes calculs de fuseaux horaires étaient, euh… fantaisistes. Ce qui n’étonnera aucun de ceux qui me connaissent. Bref, je me suis réveillée à 8h. Le soleil, ce fainéant, émergeait à peine. Curieux, ça. Et le soir, il se couche bien tard. Pas raisonnable. Et pas normal. Reprise en main du téléphone, et de la position GPS qui calcule notre fuseau. Par Luké et par prudence. Conclusion: ce matin, à 10h, il était 8h. Le soleil s’est bien levé à 6h, comme prévu sous ces latitudes. Et couché de même le soir. Je suis une littéraire moi. Les fuseaux, c’est pour la Belle au Bois Dormant (justement), pas pour de triviaux calculs horaires tout ce qu’il y a de factice. Ensuite, journée normale. Luké a pêché sa Coryphène et préparé une partie marinée à l’escabèche et le reste en “bonbons”.
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Nous voguons au fil de l’eau … Le cata est si “plat” que nous installons la chaise pliante en toile, très confortable pour regarder la mer droit dans les yeux. Et nous en voyons des choses. Des vagues, de l’écume, des poissons volants… Jeanne scrute et cherche ses ennemis les Dauphins. Il y a deux jours, Luké a vu quelques baleines passer nonchalamment. Aujourd’hui, personne.
DSCF6910 Sauf des poissons volants.
Mais à la tombée de la nuit, branle-bas de combat ! Le Capitaine a aperçu une lumière sur l’horizon. Un cargo ? Un chalut ? Non, un voilier. Il faut imaginer cette immensité où si nous voulons retrouver les amis, il faut connaitre exactement leur position GPS. Des milliers et des milliers de kilomètres carrés vides. Et nous, nous rattrapons un voilier. Genre aiguille dans un tombereau de foin. Persuadés que c’est Julien sur son petit “Lagaffe”, parti quelques jours avant nous, nous nous époumonons dans le micro de la VHF. Pas de réponse. On se rapproche. On appelle à nouveau. Mais la taille et les lumières ne correspondent pas. Et toujours pas de réponse. Malotrus. On les double et on file !
Nuit mi-moteur/mi-voile… Le vent a chuté et va descendre jusqu’à 9 nœuds. Ce qui veut dire pas plus de 4/5 nœuds de vitesse. Pfffffouou … languissant…

Mardi 31 mai 2011
9h, rituel matinal: Luké presse mon jus de citron frais, servi dans un grand verre d’eau tiède. Coup de fouet assuré. Puis café. Servi au lit, avec tartines beurrées à chaud, les jours fastes. Il y a beaucoup de jours fastes. Ensuite, repos pendant au moins une heure, “pour que l’effet détoxifiant du jus de citron tiède soit maximum”. Comme indiqué dans l’article du magazine promettant une forme éblouissante au saut du lit. Vu ma forme au saut du lit, je suis le conseil à la lettre. Donc, lecture … Et puis c’est selon l’humeur… Après les ablutions matinales, ce sera lecture, scrabble, écriture ou scrabble, lecture, écriture. Ou… Choix restreint mais choix intéressant! Un dur moment quand même pour refaire le lit-sofa-canapé-lieu communautaire, et laver la cuisine. Tout se fait en équilibre, en tanguant, en serrant les fesses. Ce qui fait que la gym du jour est faite par la même occasion. Vers midi, pas d’interrogation spéciale: nous attaquons les dernières tomates, c’est salade. Et dans l’après-midi, entre deux légers assoupissements, une profonde réflexion quand au repas du soir. Luké scrute l’océan. Il est beau, cet océan Pacifique. Très beau. Mais très grand. très très grand. Et très long à traverser… Pourtant, nous savons que ce temps entre parenthèses, nous le regretterons ensuite, quand nous serons de retour dans “la vie normale” et que tous les emm… –soucis- vont nous tomber sur la tête pire que le ciel des Gaulois. Nous flottons hors du temps, juste reliés par un cordon ombilical en forme de téléphone pour l’essentiel, et ma foi, égoïstement, on profite de ces moments privilégiés.
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 Mercredi 1er juin 2011
Le mois de Marie est fini, vive le mois de Junon. Enfin, je crois. Il faudra que je vérifie mais ça me plait bien, le mois de Junon ! Aujourd’hui, nous passons la borne “mi-chemin” du parcours. Selon les vents, nous devrions arriver dans une dizaine de jours. Pas que selon les vents, en fait. Nous pourrions aller plus vite. Mais ce n’est pas une course, et à trop tirer sur un bateau, on finit mal… Pas question de casser quoi que ce soit, on veut un voyage cool, sans ennuis, avec arrivée glorieuse à Fatu Hiva. Et pas l’oreille en berne parce que il y aura eu un soucis par insouciance. Si j’ose dire ! Alors, doucement dans les montées, pas trop vite dans les descentes. Et on freine dans les virages ! On la chouchoute, la Belle. Le Capitaine  la couve comme une poule son poussin. Pour le reste, on s’en remet à la Bonne Mère pour avoir une bonne mer. Même en étant le plus prudent possible, personne n’est à l’abris d’un incident ou d’un accident …
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                        Admirons la cuisine au fil de fer: couvercle retenu par les poignées, elles-même accrochées au panier à fruits (lourd, le panier!) …
C’est, bien sûr, un soir de vent force 20 que Luké a la géniale idée de se lancer dans un petit bœuf Bourguignon au vin rouge… Après plusieurs essais de cocottes en Pyrex, ses préférées, mais hélas du genre “glissando et plus que troppo”, il lui faut se résoudre à cuire son œuvre dans un vulgaire faitout en inox. A peine plus stable en fait. D’où un échafaudage de l’extrême, histoire de ne pas se retrouver le bœuf sur les pattes. Une surveillance amoureuse de l’avancée des travaux et un régal au bout du compte …
 Jeudi 2 juin 2011
Et deux Coryphènes d’un coup. Avec deux cannes quand même. Il va falloir commencer à s’habituer à ne plus les appeler Coryphènes mais Mahi-Mahi, de leur nom Polynésien. On a la grillade de ce soir et Luké peut se préparer un stock de “Bonbons-poissons”.
Coryphène 2 juin
Ah, le “Bonbon-poisson” … Que de souvenirs … 1997, Belle Antille, notre goélette franche en acier de 17m (un monstre de tranquillité, un poids lourd de la mer, et un arrière-train tellement large que nous avons du giter deux ou trois fois en trois ans). Ces messieurs, Luké et Ben qui a alors 14 ans, sont amateurs de saveurs franches. Et de poissons. D’où l’idée de faire sécher des filets de poissons frais pêchés, découpés en cubes, passés sur des fils et pendouillant sous leur nez pendant la navigation: il ne reste plus qu’à arracher un bonbon de temps à autres et apprécier la saveur virile qui s’en dégage. Et avoir l’haleine fraiche, celle des vrais marins de la vraie mer !
P1010324                                                                    Etape 1: faire sécher les filets au soleil
 Nuit longue et agitée, réveils chaque 2h. L’AIS est branchée mais on se lève régulièrement. La mer est assez forte, et ça swingue pas mal …

Vendredi 3 juin 2011
Belle de Lune est toujours agitée. Elle saute allègrement sur les flots, ravie de faire des pointes à 11,5 nœuds … Nous, moins.
“Vitesse inconsidérée, chantier à l’arrivée”.
Les vagues oscillent entre, à vue de nez, trois à cinq mètres. Le vent est à plus de 21 nœuds, on se calme. Galilea a son safran arraché, pas la peine d’en ajouter un autre. Les déplacements sont difficiles en plus, et je n’aime pas m’inquiéter si il y a possibilité de faire autrement. Donc, on ralentit !!!!
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P1010333                                                                                       Ce qui ne trouble guère Luké dans sa lecture…
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                                                       Les futurs “Bonbons-poissons” ont été installés au vent, et il n’en manque pas, du vent !
J’en profite pour faire quelques rangement dans mes affaires, trier mon matériel de peinture, laver les pinceaux et tubes, de petites choses que je repoussais depuis un bon moment. Un petit cake banane-chocolat-coco pour le dessert. Et je me décide pour un roboratif plat bien de chez nous: saucisses-flageolets cuisinés. Accompagné de quinoa pour moi, Luké n’appréciant pas trop cette délicieuse céréale venue d’Amérique du Sud. Je fais revenir mes saucisses de Strasbourg “Made in Panama”, oignons, ail. Puis flageolets. Trop de mouvements pour manger dehors, nous nous installons dans le carré. Luké attaque avec férocité sa saucisse, qui lui échappe, glisse, se faufile sous les flageolets. “Mais qu’est-ce qu’elle a cette f…ue saucisse?” (En Anglais: fuckin’saussage!). Elle a … un préservatif ! Les Panaméens sont les seuls à mon avis (avec les Américains, jamais trop prudents ?) à protéger leurs saucisses deux fois, ceinture et bretelles: un package normal, genre saucisses “de chez nous”. Maaaaaaais… à l’intérieur, chaque saucisse est EN PLUS bien enserrée dans un manchon en plastique qu’il faut presser pour la faire jaillir (effet garanti) avant cuisson. J’avais oublié ce détail. Aussi, elles ne voulaient pas bien roussir, mes saucisses. Conclusion: le plastique Panaméen est solide, il n’a pas fondu, mais il est diablement résistant et il faudra recourir à une paire de pinces pour s’en sortir!
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Soirée visionnage de photos anciennes, une belle série de diapositives des vacances avec mes parents du temps de … mon adolescence. Pas d’hier. Revoir mon père dans son superbe maxi-maillot à rayures noires et blanches, l’air “plus Rital que moi tu meurs”, œil de velours et sourire carnassier, et ma mère en super-extra-mini robe vert pomme, juchée sur d’immenses sabots “Seventie’s” (tout ça lui allant à ravir, magnifique !) nous fait passer une bonne soirée … au milieu du Pacifique !

Samedi 4 juin 2011
Matinée ensoleillée. Comme les autres! Réveil avec mon jus de citron, mon café et mes tartines (beurrées à chaud!). Comme les autres. Rangement du “lit-sofa-salon de regroupement”. Lecture. Le rythme est pris, on pourrait presque continuer des semaines ainsi. Mais enfin, on sera quand même bien contents d’arriver !
Je finis “Manon Lescaut” de notre cher Abbé Prévot. Luké avait commencé cette lecture car il voulait connaitre l’histoire de “Manon, tu m’as trahi !”. Et aussi à cause de notre Manon, savoir si on la préfère en Manon Lescaut ou en Manon des Sources. Il a abandonné rapidement, trouvant le roman trop triste. Je dois reconnaitre que ce couple passionné qui se met tout seul dans les pires ennuis, cet homme qui sait qu’elle va toujours le trahir et qui l’accepte avec joie (elle est tellement jolie et sincère, car elle le sait aussi, qu’elle va le trahir mais tant pis, elle ne peut pas résister!) jusqu’à la déchéance complète. Jusqu’à ce que, au détour d’une page, quand il n’y a plus de solution envisageable, elle ait la bonne idée de mourir subitement. Comme ça, en quelques lignes : elle a froid aux mains, il pleure, elle pleure (ils pleurent beaucoup, beaucoup, beaucoup tout au long du roman), il lui baise les mains (toujours, on ne lit pas pire), les “baigne de larmes”. Et pouf, elle rend le dernier soupir. Remarquable initiative sinon on n’aurait jamais appris l’histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut ! La vie de l’Abbé Prévot, aussi, vaut son pesant de cacahuètes. A la fin du livre, sa biographie: il a été soldat, séminariste, Bénédictin, re-soldat, re-séminariste, Protestant (subitement!), en Hollande avec sa maitresse, re-séminariste (l’Eglise lui pardonne …), prêtre, aumônier à Paris (avec sa maitresse), et j’en passe… Et surtout auteur d’une quantité incroyable de romans (dont celui-ci, interdit pas la police à Paris l’année de sa parution), d’essais, de traductions, de livres historiques etc. Tous les chemins mènent à Rome …
Conclusion: notre Manon est une Manon des Sources, lumineuse et porteuse de joie de vivre !
Je joue au Scrabble avec Hal, l’ordinateur. Qui triche de façon éhontée, inventant des mots, comptant triple ou quadruple des lettres sans raison, tellement roublard qu’il se plante jusqu’à me compter des mots “A plus de 100 points”. Le mot! Apparait une petite lucarne “Bravo, ce mot vaut 106 points, faut-il avertir l’auteur?”. L’auteur du programme ? Oui. Et lui dire que son rejeton a pété les plombs.
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Si quelqu’un a rencontré déjà un “ORIYA”, ou acheté un “BAGUIO” dans un “QUIN”, j’avouerais alors que moi, je “JODLAIS” en faisant “KOT” !

Dimanche 5 juin 2011
Le temps s’étire langoureusement. Nous aussi. C’est fou ce qu’on s’habitue à, non pas ne rien faire, que nenni, mais faire ce qu’on a envie de faire, quand on en a envie et si on en a envie. La première semaine était celle de l’adaptation, la deuxième a été celle de la “profitation” (mon petit côté Ségo, je sais, j’assume). Après avoir râlé comme un pou contre le vent qui ne le satisfait jamais (et il faut dire qu’il a mis de la mauvaise volonté, c’est vrai), le Capitaine s’est zénifié et a découvert des plaisirs jusque là méconnus pour lui: glandouiller. regarder la mer, regarder le ciel, lire, jouer …. Ah, ah, ah. Je rigole bien parce que moi, je pratique depuis longtemps! Sauf regarder la mer pendant des heures: ça me stresse. Mais lire, jouer, écrire pour le plaisir, si, si.
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Et le célèbre et inépuisable “Jeu de la Carotte-coin-coin”. Jeanne a des crises à heures fixes (c’est à dire fixées par elle) et nous en profitons pour l’agiter un peu. Sinon, elle finira comme une grosse bouteille d’Orangina, dodue-ventrue.
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Luké entame même un apprentissage “Chien de cirque-option danse”. Mais Jeanne est un esprit indépendant. Elle ne fait que ce qu’elle veut, si elle le veut et quand elle le veut. Un peu comme ses maitres, non?
Pour achever cette semaine, notre, maintenant traditionnel “coin du Marin” :
 “Appel à tous, appel à tous, appel à tous !”.  Le Capitaine tient son journal de bord très sérieusement et communique à la communauté des lecteurs attentifs, les derniers exploits de Belle de Lune, fière unité attaquant le Pacifique de ses flotteurs décidés :
Cadence journalière entre 146 et 187 miles nautiques (1 mn = 1,851 km)
Cette semaine plus ventée augmente la cadence : 1186 miles parcourus (2150 km), 25% de plus que la semaine dernière.
Vitesse moyenne de 7,06 noeuds, pas mal pour un cata de croisière de 20 tonnes.
Pas mal non?






1 commentaire:

  1. Salut Luke, je suis Daniel ubertini du voilier "Clio" a Moorea juste avant de partir pour la NZ, c'etait en 2012 Juin.Je suis aller dans ta mature pour changer deux poulies de bastaques....TVB apres mon vou=yage sans probleme sur la NZ avec deux escales a Niue, Tonga et la Baie d'Opua, suite a deux cancers suis rentre sur Nice a l'hopital de Larchet. Voilier vendu, et suis en ce moment en Anjou dans un domaine viticole cool.
    A bientot. Daniel

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