“La mer est sans routes, la mer est sans explications.” … '(Alessandro Baricco)
TTransport en commun avec ravitaillement à volonté.
Las Perlas, Dimanche 1er mai 2011
Après la dernière nuit dans le golfe de Panama à 35° sur le pont, et la facture encore plus chaude du nouveau moteur hors-bord pour l’annexe (mais il est bien, tout neuf, démarre au quart de tour, maniable, une perle…c’est le cas de dire!), nous levons l’ancre, dis-je pompeusement car je ne m’en rends même pas compte, bref : Luké lève l’ancre à 6h30, direction Las Perlas, archipel pour un dernier arrêt avant les des Galapagos !
Petit déjeuner en route, assiette de maracujas avec une grosse pensée pour Manon qui les adore (et ils sont bien acides, comme tu les aimes !), mer calme. si calme que le trajet se fait surtout au moteur… En fin d’après-midi, nous arrivons au sud de l’Isala del Rey. Mauvais calcul : pas de connexion Internet pour les derniers mails avant la traversée. Pas de réseau téléphone. Mais d’un autre côté, l’authenticité du village y gagne. Notre sommeil y perd, lui, car si il n’y a pas de liaison téléphonique, il ya hélas de l’electricité, et la sono à fond toutes les nuits. C’est une période de fête, avec sortie de la vierge et procession dans une musique d’enfer. Une fois la Vierge bien sourde, on la range jusqu’à l’année prochaine.
Nous retrouvons la joyeuse équipe de Yoda, Karine et Mathieu, les équipiers, et Jedi le Capitaine. Et bien sûr, Moea, la copine de Jeanne. Quelques belles parties en perspective ! Pour nous aussi: Luké a pêché deux beaux thons et une soirée grillade et thon à la Tahitienne est organisée sur Belle de Lune. En cours de soirée, Luis, pêcheur du village, passe nous proposer des calmars frais. Un sac énorme. En cadeau. C’est vraiment touchant, pas question de lui acheter quoique ce soit, nous ne pouvons que l’inviter à partager notre dessert ( il a eu de la chance, un nouvel essai le “Crumble bananes-choco-coco”, une réussite !) et “quelques” bons coups à boire !
Le lendemain, l’équipage de Yoda est de corvée de préparation de calmars (ne sont-ils pas bien concentrés ?), Luké les a déjà nettoyés et triés, il prépare pour le soir un délicieux plat de seiches à l’encre … en oubliant que je détestais ça… Mais l’important est la bonne soirée passée sur Tahaa Tiva, en bonne compagnie. J’adore le pain ! La nuit suivante sera inoubliable : la chaleur est terrible, impossible de dormir dans la cabine. Impossible aussi sur le pont entre la musique tonitruante et les lumières qui éclairent le mouillage ! Qui paye l’électricité dans ce village ???
Mardi 3 mai 2011
Avant le départ, Luis passe nous apporter le … sac de crevettes tout aussi énorme que celui de calmars, qu’il était allé chercher sur son bateau tard hier soir ! Ledit sac ne rentrant dans aucun frigo, il était reparti les déposer dans le sien. Et là, il les ramène … Luké prépare des sacs pour le congélateur qui se retrouve plein comme un œuf. Les enfants viennent en ramant sur de petites pirogues prendre commande de fruits et légumes. Ah bon? Et bien, des citrons et des bananes. Pour un ou deux dollars selon arrivage, nous aurons “Le panier du Maraicher” local. Ce qui leur est tombé sous la main, en fait. Un régime de plantain ( en fait, des bananes à cuire), des avocats rachitiques (l'important, c’est que ça ressemble à un avocat, même de loin et pas mûr), et des citrons livrés avec feuilles et branches. Il doit y avoir des jardins dévastés dans le coin ! Si nous gardons un souvenir de Las Perlas, vu le peu de temps où nous nous y sommes arrêtés, ce sera celui de la gentillesse et de l’accueil des habitants. De leur sens de la fête aussi …
Grâce au marché des fruits et légumes de Panama, nous avons rempli nos hamacs de mangues, melons, ananas, pommes de terre, choux, carottes etc. et le frigo de tomates, concombres, salades… Dans le couloir bâbord, j’ai installé de grands plateaux en étalant bien les tomates vertes, les mangues vertes, les ananas verts… en prévoyant de les surveiller de près !
Dernier marché à Panama.
L’ancre est levée à 11h du matin. Avec la musique, nous bénéficions aussi d’une houle fatigante. Il est temps de partir, le carré est prêt, le lit installé, l’équipage sur les dents et sur le pont !
Oui, bon, en théorie, le lit, ce n’est QUE pour nous… Mais en navigation, je ne quitte pas la Jeanne d’un coussinet et elle a son paréo pour s’installer sur le lit quand j’y suis ! Sinon, elle a son coussin perso, comme d’habitude. Normalement, nous dormons les uns après les autres. Enfin, dans notre cas, l’un après l’autre. Mais cette navigation va être un peu différente. Tahaa Tiva possède ce qui se nomme un AIS. Superbe invention qui permet au marin de se reposer un peu. Luké travaille d’arrache pied pour installer un programme – gratuit mais ardu- sur notre ordinateur. Impossible de dénicher une VHF avec AIS à moins de 500$ à Panama. La bête fonctionne à l’aide d’une VHF. bon, on a. Mais il y a des impondérables techniques qui font que, pour le moment, rien ne s’affiche sur l’ordinateur couplé avec la VHF. Et zut. Mais je ne m’inquiète pas, je sais que Luké va tordre la machine. Alors, l’AIS, qu'est-ce donc ? Explications: L’AIS, Automatique Identification système permet grâce au GPS, relié à la VHF, et ensuite le signal est envoyé sur l’ordinateur (pour avoir un écran!) de visualiser la mer, et ses occupants. Et d’identifier et de connaitre la trajectoire de tout cargo ou bateau de croisière, bref, tout ce qui est gros, passant à moins de 60 milles, environ 100km de nous. Histoire de réagir en conséquence. Tous les “gros”, les bateaux de commerce en particulier, en sont obligatoirement munis, et c’est plutôt sympa de lire sur l’écran de l’ordinateur “Esmeralda, venant de Singapour, se dirige vers Santigo, position etc.” Les bateaux de pêche ne l’ont pas obligatoirement, donc la surveillance est de mise tant que nous ne sommes pas loin, loin en mer. Naviguant avec Tahaa Tiva qui met son AIS en veille, celui-ci sonne et Christian nous appelle à la VHF quand il ya un cargo en vue.
Cap au sud-ouest, pilote en position, il est temps de se reposer un peu !
La mer est clame, calme, caaaaalme… Moteurs! On se croirait sur un plateau de cinéma: Luké monte la voile, soupire et dit “Moteur” à peu près 3 ou 4 fois dans la journée. Nous filons à … 3 nœuds ! Presque on reculerait sans le moteur. Oui, on n’en met qu’un à la fois, pas la peine de les fatiguer pour rien, il faut attendre Tahaa Tiva qui est un beau monocoque en acier, avec tout le charme du “Plan Caroff” ( comme notre ancienne Belle Antille) et surtout son allure… d’escargot de mer ! Je me mets en cuisine. Pour le soir nous aurons un cake fromage-jambon, ratatouille fraiche et clafoutis bananes. Le moral des troupes est en jeu! En fin d’après-midi, la visite des dauphins va égayer l’équipage et mettre en rage Jeanne qui décidément les déteste: pourquoi, mais pourquoi ses chers parents-humains applaudissent-ils des deux mains et des deux pieds quand ces bestioles viennent faire les belles autour du cata ?
Mercredi 4 mai 2011
Journée bricolage, le capitaine profite du temps TOUJOURS très calme pour finir d’installer des protections. Jeanne a la patte marine mais bon, mieux vaut prévenir. En théorie, elle est attachée. En pratique, la journée, elle ne bouge pas du cockpit ou du carré, et Luké l’attache pour l’amener à ses toilettes privatives plusieurs fois dans la journée. Mais bon, une envie pressante et hop, elle pourrait filer.
Grâce à Conforama, qui n’en reviendrait pas de voir sa publicité en plein Pacifique (Merci le Tour des Yoles de Martinique 2008 !), Jeanne est à l’abris de chutes intempestives!
Et peut, toujours accompagnée, utiliser ses magnifiques nouvelles toilettes: un beau tapis de gazon synthétique. Pour un peu, elle se croirait au parc.
Jeudi 5 mai 2011
Moteur et pluie. Enfermés toute la journée, nous feignassons, lecture, sieste, lecture… Manger ! Ce n’est pas le “Pot au Noir”, c’est la “Cuve au noir”, que dis-je, la citerne géante ! Pluie, d’accord, pas de vent, d’accord. Mais alors les orages ! Le ciel se déchaine en quelques minutes et lors d’un petit coup de vent à plus de 30 nœuds (un bon quand même) la drisse du génois casse et file à la mer. Heureusement, Tahaa Tiva est à côté et peur nous en prêter une, sinon, galère…
Non seulement il n’y a pas de vent, mais le peu qu’il y a est totalement de face. Pile poil dans le nez, si j’ose dire. Bizarrement, Belle de Lune serait le seul catamaran connu à remonter au vent et à faire un bord de prés de bonne facture ! Résultat: Luké prend un ris, nous attendons gentiment Tahaa Tiva qui navigue à son pas de sénateur. Le temps est gris, il pleut, le vent est de face, les vagues en travers. La totale. Pour contrer l’humeur morose qui envahit le carré, vite, un un gâteau !
Vendredi 6 mai 2011
Les quarts se suivent, nous partageons la nuit en quatre, et en gros. Je commence de 7/8h à minuit. Luké prend la suite jusqu’à 4h. Et je fais le lever du jour. Après, Luké sieste quand je me réveille ou plus tard. Nous continuerons les quarts tant que nous ne serons pas sûrs que les petits bateaux de pêche ne viennent pas si loin en haute mer. Ce serait bête de couler une barque Equatorienne.
5h45 … 5h58… 6h03… Lever du jour sur le Pacifique…
Mais est-ce que quelqu’un peut arrêter de faire bouger ce cata ???? Navigation pénible, je rêve que je saute sur des manèges infernaux ! On se traine, malmenés par des vagues toujours dans le mauvais sens! Pour palier à une humeur qui décroit proportionnellement à la croissance des sauts, la décision est prise: grand apéro musical ce soir sur Belle de Lune! Vin blanc, vin rouge, crackers, fromage ! Non mais, on ne va pas se laisser abattre comme ça!
Ben oui, attachée. Et même pas eu droit au vin blanc.
Menu festif: Poulet mariné au barbecue, gratin de papayes vertes (smiam) et gâteau multi-fruits, bananes, mangues, ananas…
Et le petit Merlot qui accompagne si bien, quitte à tressauter, tressautons bourrés, yeah !!!!
Samedi 7 mai 2011
Décision collégiale inter-voiliers: abandonnons le cap sud ( qui était un peu sud ouest) pour ne plus subir ce vent de face. Prenons carrément ouest, ça ne sera pas pire! En effet, mais pas mieux non plus finalement. Le saute-mouton devient montagnes russes. Les coups de vent se succèdent. Craquement, claquement, le génois s’est déchiré. Bon, il ne reste plus qu’à le recoudre! A Grenade, nous avons acheté à un marin en perdition une “machine à coudre les voiles manuelle”. Surtout pour lui faire plaisir car il vivait de sa fabrication. Le mode d’emploi est tout aussi artisanal que l’engin, et tout aussi hermétique. Luké s’y colle. De toutes façons, vu l’épaisseur du génois (on ne fait pas dans la dentelle sur Belle de Lune), je n’arrive même pas à enfoncer le pieu qui fait office d’aiguille!
Euh… Après un bon moment à s’escrimer sur l’engin et batailler avec les fils (comment ce truc arrive-t-il à transformer un seul fil enfilé sur l’aiguille en plusieurs bien emmêlées sur l’envers? Encore un coup de la canette, ça ), le Capitaine, en grande forme couturière, s’installe à l’aise dans le cockpit, la voile s’étale dans le carré et déborde un peu partout. Et il reprend la couture traditionnelle du marin qui se respecte: à la main pure, avec protection en cuir de la paume de la main (qui ne protège pas grand chose) et force du poignet. Et temps…Il faudra deux jours pour une belle couture avec renforts adéquats. Mais c’est du costaud, ça, je peux l’assurer ! Après la voile, le hamac des fruits cède aussi aux soubresauts. La réparation est nettement plus simple. Le café se renverse: c’est la première fois depuis que nous naviguons. La cafetière n’est pas des plus stables, c’est vrai, mais la moutarde nous monte au nez!
Cafetière, jolie mais pas pour bateaux sur l’eau ?
Dimanche 8 mai 2011
Le génois est remonté. Christian avait gentiment proposé de faire un triple saut périlleux de Tahaa Tiva sur Belle de Lune pour donner un coup de main à Luké. Mais j’ai pensé que malgré mon appréhension de me retrouver un peu dans le vide, au-dessus de l’eau et des vagues furieuses (bon, ce n’est pas encore Moby Dick ni “La Tempête” mais ça bouillonne sous les trampolines…), en m’agrippant bien, ça devrait pouvoir se faire… La manœuvre: Luké est au winch du mât, il force pour faire monter la voile que je glisse dans le rail du filin supportant le génois. Simple, non ? Maintenant, il faut se mettre dans l’ambiance. La Belle fait du saute-moutons (coup de bol, la séance de montagnes russes est terminée), les vagues écument sous le trampoline, je suis agrippée comme une arapède sur son rocher au filin, debout sur la traverse qui relie les deux flotteurs, oui, celle-là, celle qui est au-dessus de l’eau. Avec la main libre, je glisse le bord gansé de la voile qui pèse bien dans les 30kg. Le vent hurle dans les oreilles. La communication s’en trouve, disons, très perturbée. Il faut pourtant que Luké entende quand je crie “Stop”. C’est à dire quand la voile sort de son rail et qu’il faut repartir en arrière… Et Jeanne hulule attachée dans le carré. Au bout d’un long moment, le génois est en place!
En récompense le soir, je prépare les curieux avocats de Las Perlas !
Lundi 9 mai
Enfin le vent est arrivé! Entre 10 et 25 nœuds, on ne battra aucun record mais on avance! Youpee….Et avec le vent, la navigation redevient ce qu’elle devrait toujours être: AGREABLE ! Oui, je sais, le marin est souvent une sorte d’Homo Maso qui s’éclate (et pas que lui) dans le gros temps. Libre à lui. Nous, on n’est pas là pour se faire chahuter, on est là pour voir le défilé… Ah, la bonne humeur revient au galop! Il en faut quand Luké s’aperçoit que les vagues qui ont balayé le pont pendant un bon moment, ont apporté un cadeau de la mer: un banc de seiches. Séchées depuis avec leur encre bien étalée partout. Le pont est violet, violet-noir à taches brunâtres… Huile de bras en perspective pour récurer tout ça au balais brosse… La belle protection Conforama s’est effritée dans le mauvais temps. Il va donc fabriquer pour sa petite Jeanne un beau filet soudé à la colle. Avec de vieux morceaux, on fait du presque neuf. En tout cas, de l’efficace !
Bonne nouvelle: de grands oiseaux passent et repassent au-dessus de la Belle ! Des pétrels, d’après l’ornithologue du bord. Mauvaise nouvelle: le pétrel a un transit particulièrement abondant et collant. Voilà qui complète les seiches…
Mardi 10 mai 2011
Colloque inter-voiliers: où va-ton ? Aux Galapagos, c’est sûr. Mais les Galapagos, c’est un archipel, et les voiliers n’ont le droit de s’ancrer qu’à une ile. Et une seule. Choix délicat. A l’origine, je votais pour Isabela, la plus sauvage, la moins touristique “de masse” (il ne faut pas se faire d’illusions, le temps des Galapagos “nature” est bien fini, tout est cadré, guidé, groupé: surtout les touristes). A présent, avec la grand voile qui a besoin de renforts, l’AIS à fignoler, des achats en électronique, électricité etc. , la seule possibilité, c’est Puerto Ayoro. Le port le moins glamour des trois iles où nous avons le droit de jeter l’ancre. Bon, cap sur Puerto Ayoro. Impossible de savoir ce qu’il faudra payer pour poser pied à terre. Et rester un moment. Tous les blogs que j’ai écumé sont muets sur le sujet. Sauf un qui annonce en gros, que c’est à la tête du client. Encourageant. Espérons que nous avons de bonnes têtes.
La journée s’allonge agréablement, et pas que la journée…
Oui, il y a un Adonis sur le cata.
Le Capitaine a calculé que nous passerions l’EQUATEUR en début de soirée ! Le Champagne est au frais, le confit de volaille au poivre vert (que j’avais bien caché pour qu’il tienne jusque là!) aussi, le pain tout chaud du jour est bien doré, et le Roquefort Panaméen (un Bleu Danois pas mauvais du tout) se réchauffe…Dessert: œufs de Pâques en chocolat !
Starting blocks…
Hémisphère sud, nous voilàààààààà !!!!!! Tiens, on ne tombe pas… Etrange. Est-ce qu’on a la tête en bas ? Le Champagne a fait de l’effet dès avant l’ouverture de la bouteille. Le cata tangue de plus en plus. Mais est-ce vraiment le cata?
Neptune a eu son petit verre de Champagne. Petit car il a du boulot et en tant que Dieu doit monter l’exemple de la sobriété !
Mercredi 11 mai 2011
La Belle file sous 23 nœuds de vent ! On l’appelle l’éclair ! Navigation plaisir, mon café arrive au lit (et dans la tasse), le Capitaine est joyeux, on arrive aujourd’hui !
A 15h, il aperçoit la première otarie qui tourne autour du voilier. Avec des copines, parait-il. Le temps que j’arrive, elles ont filé. Santa Cruz se dessine à l’horizon, on est arrivés aux Galapagos.
Nous avons mis huit jours pour traverser, sans vent, avec orages, ou vent de face et vagues aussi, ou rien du tout… J’ai lu deux romans policiers médiévaux de Peter Ellis, un Werber (Nous, les Dieux) et un étonnant Pearl Buck (Vent d’est, vent d’ouest), le pauvre Luké n’a eu le temps de lire, entre deux reprises, que la passionnante biographie de Michaël Crichton et le Pearl Buck. Nous avons mangé tous les légumes frais et les fruits. Nous avons franchi l’équateur en douceur. On aura tout eu comme conditions de navigation. Mais c’était superbe !
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