Philippe Geluck
Mercredi 15 septembre
Les pétards ont repris. En nombre réduit car le nombre de pinèros, lanchas et autres embarcations a bien diminué entre Isla Iguana et Gran Testigo. Et les déplacements aussi ! Il ne reste pratiquement plus que la famille très proche de Chon-Chon, et quelques amis. La fête finale marquant le retour de la Vierge dans sa « niche » après les dernières visites et bénédictions est une fête familiale. Tout le monde se connait. La Vierge finit sa tournée aujourd’hui par le dernier “quartier”, sur Gran Testigo. Les Guardacostas, accompagnés de marins en uniforme (les Miss sont reparties à l’école…) vont la chercher en barque pour la déposer à l’autre bout de l’île, sur Playa Chiquita. Là se trouve la maison de Chon-Chon (l’officielle, où vit sa femme), quelques maisons et un abri « commun » comme dans les autres quartiers pour se regrouper.
Nous partons attendre sur Playa Chiquita l’arrivée de la procession nautique. Maria nous invite à aller rendre visite à Chon-Chon (prononcer Tchonn-Tchonn) le célèbre Chon-Chon, que nous n’avons pas vu depuis notre dernier passage, en 1996 je crois ! Chon-Chon, c’est le Patriarche (avec une majuscule s’il vous plaît), Pater Familia de la tribu et vedette incontestée des Testigos. Un roi dans son hamac, qui a pendant de nombreuses années accueilli avec la même chaleur tous les navigateurs, célèbres ou anonymes, faisant escale « chez lui ». Il a fait partager son métier –chasseur de requins, c’est dire si il y en a dans le coin- son amour de son archipel, et de la vie en général. Grand séducteur, l’homme au chapeau noir, avec son faux air de cow-boy d’Amérique du Sud n’a jamais laissé indifférent. Mais le temps a passé et nous retrouvons un vieux monsieur très digne dans…son hamac, toujours ! Très amaigri, il a attrapé la grippe ou quelque chose qui y ressemble. Maria essaie de le persuader d’aller voir le médecin à Margarita mais comme il dit « Cette saleté est entrée toute seule, elle repartira toute seule ». Une tête de mule aussi. Depuis quelques temps, il ne vit plus dans sa maison avec sa femme Nelly dite Maïta (et lui c’est Païto, surnom affectueux) et préfère son « ermitage » donnant sur Playa Real, à quelques centaines de mètres. Un cabanon plus ou moins en ruine, il a accroché son hamac sous la véranda et regarde passer les bateaux. Mais l’œil frise toujours quand une femme vient l’embrasser (et là, nous sommes quatre !) et il nous parle aussi bien de requins que de Blackberry (si, si, le téléphone) et de tous ces gadgets qui nous envahissent ! Au milieu de la conversation, il se lève tout à coup pour aller dégager avec Maria un petit oiseau qui s’est pris dans ces herbes collantes et qui ne peut plus s’envoler. Sauvetage ! Long et délicat mais le prisonnier finit par s’envoler.
Sauvetage
Et voilà…
Prêt à s’envoler mais pas pressé!
La procession débarque sur Playa Chiquita. La première maison à être bénie par la présence de la statue est celle d’Oche. Il est rentré avec sa lancha et son équipage hier soir et a été fêté comme il se doit. N’est-ce pas grâce à lui et sa connaissance de la mer des Caraïbes que l’armée a stoppé les recherches vers l’ouest pour les reprendre à l’est, vers Trinidad ? Il est très ému, et a du mal à se remettre des émotions de ces jours derniers. Quand nous ferons vraiment connaissance, à Margarita la semaine suivante, nous découvrirons un homme qui s’est formé tout seul, instruit par lui-même et ses voyages, guidé par sa grande curiosité et sa volonté d’apprendre (il parle très bien le Français !) quelqu’un de fort et de généreux. Pour le moment, c’est un homme rempli de sa foi, qui remercie la Vierge de l’avoir guidé vers les pinéros. Plus de bandas pour chanter mais un guitariste-chanteur à voix puissante qui accompagne dans chaque maison. Distribution de bières, rhum et gâteaux, alerte ! Avec la chaleur…et il n’est pas midi… L’égrégore fait son effet : le groupe soulève tous et chacun, les chants entrainent et canalisent l’énergie. Ou alors c’est la bière en plein soleil ?
Et moi, je me retrouve à chanter à plein poumons « Vénézuéla, mi patria, sempre serà en mi corrazon » (ou quelque chose d’approchant) et « Gracias a Simon bolivar » avec une ferveur qui fait rigoler Luké, je le sens, là derrière moi, qui photographie tout ça !
Avec délicatesse
Emotion et remerciements
Enfin, la dernière maison est celle de Maïta, vieille dame émue, entourée de ses fils et filles (enfin, un certain nombre car je n’ai pas tout dévidé, l’écheveau familial semble complexe).Tous ont la larme à l’œil, on pleure beaucoup de joie dans les pays Latins !
Maïta, la maman d’Oche, avec un autre des ses fils
Et voilà, maintenant, retour à la maison!
Une bonne sieste après ça, parce que ce soir, c’est le « dernier bal » de la saison ! L’animation bat son plein sous le « pavillon » principal quand nous débarquons à Isla Iguana. C’est la fête pour les petits : une grande pinata descend du plafond, soulevé par un câble comme le pompon de nos manèges d’enfants. Celui qui a les yeux bandés doit frapper la pinata pour que son contenu se déverse. Et voilà: un déluge de bonbons, petits jouets et autres babioles se répand sous les cris des gamins qui se jettent dessus. L’animateur parle à toute allure, mais on comprend qu’il est content, que le fête se termine bien malgré le drame à déplorer, et que la Vierge a fait ce qu’elle devait faire. Et on enchaine par… des pinatas pour adultes ! Tiens donc, je ne savais pas que ça existait ? Le premier a passer sous la pinata est Benjamin, notre ami de la semaine dernière. Il n’est pas ferme ni précis dans ses gestes (l’alcool y est pour beaucoup…) et il vaut mieux se tenir à distance. Le bandeau n’arrange pas son équilibre. La pinata a la forme d’une grosse bouteille en carton recouverte de bandelettes colorées. Elle s’agite dans tous les sens et Benjamin doit passer la main. Enfin, un homme plus chanceux frappe un grand coup avec le bâton et fait éclater la bouteille. Une pluie de petits objets tombe du ciel. Mais qu’est-ce donc…? Nous sommes bien placés et à nos pieds, nous ramassons… un protège-slip. Toujours utile. Une grande dame accroche comme un trophée à son chapeau de paille un superbe « zizi en plastique », de taille respectable. Les moins chanceux en récoltent des petits. Quelques préservatifs et le ton est donné ! En effet, c’est bien une pinata pour adultes. Le tout dans de grands éclats de rire, des blagues que nous ne comprenons pas mais que nous comprenons quand même (il ya comme un langage universel pour ces choses-là) et des bières à la cantonade. L’animateur, bon chanteur aussi, roucoule au micro. Il est très efféminé, nouvelle mode parait-il. Tout à coup il se rue sur Luké, qui n’a pas l’air du coin (ah oui ?) et l’interviewe. Yeux ronds du capitaine que ce déversement de paroles en espagnol Vénézuélien (parfois un lointain rapport avec le Castillan de nos écoles) laisse pantois. Il comprend qu’on lui demande son nom, s’il est content d’être là (si, si, muy contento !) et de répéter quelque chose. Il répète consciencieusement, et la foule se tord de rire. Une grosse ânerie c’est certain! Il faut rire –gentiment- même à nos dépends, c’est aussi notre façon de participer ! Luké est très applaudi !
Et après ? Baila ! La Salsa et le Compas (genre de salsa en plus rapide) sont à l’honneur. Luké observe les pas de danse pour s’en imprégner…Les femmes, c’est plus facile : d’abord, il suffit de suivre le danseur et ensuite… on est invitées. Je me retrouve à guincher trois pas en avant, trois pas en arrière, un ou deux sur le côté. Ah, ça parait simple dit comme ça, et bien, non, mais je me régale, et mes danseurs sont charmants ! Luké se décide a venir danser… au mauvais moment ! (ou au meilleur moment tout dépend). La musique a évolué vers un style boîte de nuit Latino. Je me fais happer par un groupe de femmes, hilares, tapant dans les mains, en cercle autour de celle qui danse seule, au milieu. Puis qui va chercher dans le cercle une remplaçante. C’est ainsi que je me retrouve au milieu à sauter comme un cabri (une cabrette ?), encouragée par les cris de mes consœurs. C’est là que mon Luké, rêveur, s’approche en se trémoussant en rythme. Il n’a pas réalisé que c’est « un cercle de femmes ». (Et moi, j’ai vu le sort du mâle précédent qui s’est approché du cercle). Une grande Testigera le saisit et le propulse au milieu, une autre le serre de près, une troisième les rejoint, le tout sous les hurlements de rire et les plaisanteries des autres. En fait, il est ravi, langoureusement entouré et compressé par ces « mammacitas » très en formes…
Jeudi 16 septembre
Départ pour Margarita. Mer d’huile, vent quasi nul, nous ferons la traversée au moteur…Ce n’est pas un vent de 10 nœuds qui va remuer la Belle. Ni les autres non plus. A 7h ce matin, les quatre voiliers ont levé l’ancre : Agua, Mojito, Mothaline et Belle de Lune. Et nous prenons notre mal en patience. Le bon côté, c’est que personne ne gîte ni ne saute. A midi, je me dis « Tiens, si je faisais un couscous ? ». Mais quelle merveilleuse idée. J’ai de la semoule, des tomates en boîte et du concentré. Des carottes. Du chou. Des pois chiches.Et des épices. Euh…pas de poulet ni de mouton ? Couscous légumes, c’est bon pour la santé !
Il me semble que ça me prends à chaque navigation, cette envie de couscous. Je devrais m'organiser!
Les pélicans nous accueillent en rangs serrés à l’entrée de Porlamar. Juchés sur les barques de pêche, ils lorgnent tout ce qui pourrait ressembler à un poisson.
Après les Testigos et le retour à la nature, voici, la ville, la vraie : des immeubles et des grands hôtels ont pris possession du front de mer. Beaucoup en construction depuis… des années, jamais finis. On murmurait à l’époque de notre première visite que le blanchiment d’argent serait une des raisons de ces constructions. Nous, comme on n’est pas mauvaises langues…juste on répète et on se contente de regarder. Et on voit une sorte de Grande-Motte en plus moche, en moche même carrément, car tout a l’air –et ce n’est pas que l’air- d’avoir poussé un peu au hasard. « Tu as un terrain ? Bien, si on faisait un gros immeuble bien haut avec plein de studios pour les touristes ? ». Allez, c’est dit, c’est fait. Le résultat offre à la vue un front de mer hérissé de bâtisses mornes et grises. Mais le mouillage est agréable. Beaucoup moins de bateaux qu’il y a 14 ans, et essentiellement des Français, sans peur et sans reproches. La paranoïa américaine et les histoires à frémir colportées avec délectation par les plaisanciers anglophones ont eu un résultat étonnant : pour la première fois depuis des années, nous sommes ancrés dans un pays où il n’y pas un voilier américain ! A leur décharge, les hurlements hystériques de notre ami Hugo (Chavez, bien sûr) encourageant à pirater et dépouiller tout ce qui est américain –n’a-t-il pas déclaré dans un célèbre discours que tuer un « gringo » n’était pas un meurtre ?- nous ferait réfléchir nous aussi. L’astuce sera à chaque instant de placer que nous…nous sommes Français et pas gringos !
Vendredi 17 septembre
La chaleur est infernale. Respirer nous liquéfie et bouger, alors…On ne peut pas tout avoir, un mouillage bien protégé et en même temps bien ventilé ! Donc, on fond…L’avantage, c’est qu’un petit malin, sur son bateau, a monté sa petite entreprise de location de bande Wi-Fi. Contre la modique somme de 80 bolivars « nouveaux » (avec les anciens, ça aurait fait 80.000 bolivars, et rien qu’en allant acheter le pain et quelques légumes, il fallait presque une brouette pour transporter les billets). Bref, pour environ 8 euros, nous louons une connexion fort convenable. La veille au soir, Luké avait réussi à se brancher sur la wi-fi d’un hôtel, puis d’un autre mais on ramait, on ramait… Ce qui en bateau énerve fort !
A Porlamar, on ne rigole plus et nous partons tout pimpants à terre pour légaliser notre situation plutôt bancale. D’abord l’immigration (pour nous), ensuite la douane (pour le bateau). Rien de bien méchant mais les autorités, sans doute lasses d’essayer de faire comprendre les subtilités des lois du pays à des étrangers (et là, je vais être mauvaise langue, mais c’étaient en particulier des Américains !) ne prenant pas la peine d’apprendre trois mots d’Espagnol et outrés que le monde entier ne parle pas Anglais, ont imposé de passer par un agent. Parlant Français, pour le notre. Car si nous, nous parlons trois mots d’Espagnol et tous les jours passons un moment sur la méthode Assimil, de là à comprendre un douanier…
Juan est l’intermédiaire officiel de la Marina. Enfin, marina est un bien grand mot pour un ponton, et une baraque qui fait office de bureau, vente de boissons, échange de livres, récupération des poubelles, organisation de courses par minibus au Supermercado, et prise en charge des papiers officiels. Il suffit de payer 550 bolivar nouveaux (et non plus 550.000…quelle émotion à l’époque !) pour avoir ses papiers « d’entrée ». Puis de payer 350 bolivars nouveaux pour les papiers de sortie. Gloup. Et encore, nous paierons une taxe par personne (30 euros, et hop) pour la sortie mais pas pour l’entrée, contrairement à nos amis du voilier Vardez, qui eux seront « taxés » deux fois. Surtout ne pas chercher à comprendre. Juan, qui parle bien Français, prend nos passeports et carnet du bateau. Nous devons attendre qu’un nommé Pedro nous appelle quand le chef de l’Immigration sera prêt. Quand ? Dans un moment… Ah, en fin de matinée, c’est bon ! On nous attend. Les bureaux de l’Immigration sont à 200m environ. Une baraquette en bois, climatisée et surtout pourvue d’un grand poste télé où je peux suivre pendant un moment « Les feux de l’Amour » à moins que ce ne soit « La tornade de la passion » ou « Mi amor, mi corrazon » en Anglais, sous titré en Espagnol. Je ne suis pas seule, tout le poste regarde la télé en tamponnant (au hasard ?) les papiers. Le poste est constitué des douaniers, de leurs femmes, filles, fiancées ou petites amies. Ambiance rigolarde et décontractée. Enfin, nous avons nos tampons sur les passeports. Pour le bateau, Pedro –qui a fait ses études à Bordeaux !- nous les ramène quand le Capitaine du Port, à Pampatar, une autre ville, se sera décidé à le tamponner. Il a la réputation d’être capricieux et pénible, celui de ce mois-ci. Car ici, les Capitaines de Port sont « changés » chaque mois pour éviter tout souci de corruption…
Aujourd’hui, nous avons besoin de changer nos Euros en Bolivars. Maria nous a gentiment dépannés aux Testigos mais là, il faut changer une somme rondelette pour couvrir tous les achats prévus. Et il y en a. La première des choses que l’on apprend en arrivant, c’est qu’ici, si on demande à un policier où se trouve la banque pour changer de l’argent, il vous regarde avec des yeux ronds : personne ne change à la banque ! Car le taux va du simple au double. Incompréhensible. Le taux officiel est de 5 bolivars pour un euro. Le taux de la rue (ou de la baie car le vendeur de gas-oil qui livre au cata fait aussi change, et oui !) peut aller jusqu’à 10 bolivars pour un euro selon les jours. Nous mettons de côté nos principes et partons en ville chez « quelqu’un » (une boutique en général) qui discrètement va nous échanger nos euros. Le trajet en taxi, lui, est à prix fixe : 20 bolivars. Ce qu’il faut savoir, et nous l’apprendrons à nos dépends, c’est que c’est 20 bolivar « LE » trajet. 20 mètres ou 5 kilomètres, c’est 20 « Bollos » (diminutif du Bolivar). Ainsi, si pour un raison sotte, genre « Arrête-toi une minute, je prends du pain », puis « Ah, stop, je fais un saut à la pharmacie puisqu’on passe devant », on demande au chauffeur de s’arrêter, et bien à chaque fois, il compte un trajet. Ce qui fait que si on traverse la ville au milieu des embouteillages pendant 30mn, ça coute 20 Bollos, et si on va changer la bouteille de gaz, on s’arrête prendre du pain et on a besoin d’aspirine, le tout sur 200m et en 10mn, ça coûte 60 Bollos. Vaut mieux être avertis ! Les taxis à prix uniques ne sont pas non plus à confort unique. C’est aussi bien la jolie voiture presque récente et bien entretenue avec climatisation, que l’épave roulante avec vitres bloquées (quand c’est bloqué “ouvert” encore…) et amortisseurs inconnus. Mais, de toute façon, toutes sont avec discothèque incorporée ! Toutes les voitures en fait. Le coffre ne sert qu’à empiler des haut-parleurs, des amplis, et tout ce qui peut faire du bruit. Le soir, sur la plage, une voiture s’installe, musique à fond et le cata tremble sur ses coques au rythme des basses. Mais on connait le Top 50 local.
Ce soir, grand plaisir : grâce à notre super connexion internet, nous allons « skyper » un long moment avec Ben qui part demain pour Shanghai. Il va au mariage de son cousin, puis à Hong-Kong, un tour au Japon, retour par la Corée et final à Shanghai à nouveau. Deux mois, avec tente et trolley-porte sac à dos, en costard, rasé de près (enfin, c’est ce qui est prévu) car au Japon, il faut être nickel ! On discute, discute, discute, faut en profiter !
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