“Le chauffeur est, de loin, la partie la plus dangereuse de l’automobile.” (Léo Campion)
Pour passer le canal, à part payer, il y a des impératifs bien précis. En particuliers le nombre d’aides ou “Hand-Liner”. Un hand-liner –en gros un “teneur de cordages à la main”- est chargé de maintenir le bateau à bonne distance des parois du canal en ajustant un long cordage (jusqu’à 30m). Tenu à l‘autre bout fermement par un “toulineur”, employé du canal, qui avance au pas, en même temps que les bateaux, sur le mur de l’écluse. Jusqu’à ce que tout le groupe de bateaux bien encordé soit à sa place dans l’écluse. Le toulineur attache alors son cordage et le hand-liner est chargé, en le bloquant dans un taquet du pont, de le tendre ou le détendre pour maintenir la position plutôt pas trop proche des murs, de son bateau ! Les portes se ferment. Les vannes s’ouvrent. Et là, c’est la danse des canards. Pardon, je m’égare, c’est la “danse sur tourbillon”, qu’il faut maitriser. Un coup, le hand-liner doit tirer pour ajuster, un coup, donner du mou, bref, un boulot de précision. Il y a quatre hand-liners obligatoires par bateau plus le Capitaine qui ne lâche pas sa barre. Le moteur est toujours allumé pour manœuvrer selon les besoins. Le pilote, lui, est là pour diriger le tout. Mais comme dit Luké, il dit ce qu’il veut, au bout du compte “C’est notre cata et c’est moi qui prend les décisions”. Les pilotes sont des apprentis, des “advisers” , des conseillers. Aguerris pour les petits bateaux, ils ne seront “pilotes officiels” qu’au bout d’un moment et pourront alors, consécration honorifique et financière, travailler sur les cargos et les paquebots. Une autre paire de manches!
Sur Funny Girl, un couple d’amis devait les accompagner, ainsi que Luké. Les cinq personnes requises étaient en poste, sans problème. Au dernier moment, le couple ne vient plus, Geneviève et Jean-Jacques tentent de trouver des équipiers au pied levé. Difficile. Je propose alors de venir mais … avec Jeanne. Qui malheureusement ne peut pas passer pour une équipière. Donc, ils embaucheront Oscar, que nous appellerons Marco pendant un moment, (allez savoir pourquoi) un Panaméen calme et discret, habitué aux passages. Tout se décide le matin du départ.
C’est alors qu’un oisillon nous tombe dessus.
Le nid dans la bôme, à Portobelo, vous vous souvenez ? Pourtant, Luké avait vérifié mais l’oiselle avait poussé la chambre d’enfants tellement loin qu’il n’avait ni vu ni entendu la moindre plumette ou le plus léger pépiement. Nous sommes atterrés. Des bourreaux d’enfants. Le petit est depuis deux jours sans boire ni manger. Nous allons tenter une réanimation et des soins d’urgence. Pipette, eau, sucre, nid en coton. Il boit mais il s’épuise à vouloir sortir, s’échapper, il est visiblement terrorisé. Je lui prépare une boîte pour le voyage. nous allons débarquer sur Funny Girl avec la ménagerie au complet. Mais il est trop tard. En fin de matinée, il s’éteint doucement dans son nid de coton. Snif…
Mercredi 6 avril, 12h30
Funny Girl approche, tous pneus dehors, de la Belle. Abordage. Passage de Jeanne, son sac de voyage, ses croquettes, nos sacs et nous… Voilà, on y est, on va être hand-liner pour la première fois! Le point de rendez-vous est celui du mesurage, le rendez-vous à 15h15 (c’est diablement précis pour un pays où les horaires sont très élastiques). Georges, jovial pilote, débarque à 15h30: soyons cool, il est à l’heure.
Et comment Funny Girl va-t-elle passer ? Plusieurs possibilités. En général, les voiliers sont groupés par trois. Figure que nous ne verrons jamais au cours de nos passages ! En général aussi, si il y a un catamaran, il se trouve au milieu du groupe. Ce qui ne sera pas notre cas quand nous passerons. Bref, nous, on innove ! Pour Funny girl, ce sera collé-serré avec Nemo, le catamaran de François, un joyeux drille qui s’est constitué un équipage de minettes américaines, et d’un père et son fils. Premier stress: les deux voiliers s’approchent, se collent, pneus contre pneus (mais il n’y aura de petits roulettes qui naitront plus tard), et le tout se dirige à petite allure vers la première écluse.Mais, susurrerons ceux qui ont suivis depuis le début, pourquoi quatre hand-liner si le bateau est collé contre le voisin, donc, si il ne reste plus que deux coins de libres ? Hum ??? Je vous le demande ? Parce qu’on ne sait jamais. On ne sait jamais, mais alors au grand jamais et ça va se vérifier plusieurs fois, ce qui risque de nous tomber au coin du museau: si le bateau se trouve entre deux autres, les hand-liners se tournent les pouces, si il se trouve sur un côté, seuls deux vont travailler (on tire au sort et ce sont les hommes qui sortent), et si on est tout seul, les quatre vont y être. Voilà. Une précision: tous les bateaux ont quatre coins pour le canal: avant bâbord, arrière bâbord, avant tribord et arrière tribord.Accostage et arrimage sont les deux mamelles…L’équipage féminin de François a du muscle, et il bosse!On y est !Les deux hand-liners de Funny Girl sont à poste. Luké à l’arrière, emplacement délicat et Oscar à l’avant. Les deux équipières “volantes”, Geneviève et moi, donc, sont au “Service Presse”, chargées d’immortaliser la chose. L’équipière surnuméraire, Jeanne, ne bronche pas du cockpit, se demandant bien à quoi rime toute cette agitation. Les toulineurs sont en place, on envoie les cordages, et le voilier avance au pas, mené par les puissants moteurs du catamaran, qui garde le sien allumé en appui.Manœuvre1) Le grand cordage est posé sur le voilier, à son “coin”, prêt du taquet, terminé par une grande boucle.2) Le toulineur, du haut de son mur, envoie au hand-liner, tout en bas dans l’écluse et sur son voilier, un petit cordage terminé par cette boule qui permet de bien viser et d’attraper ledit cordage. Lui, bien sûr, ne lâche pas l’autre bout (ce serait couillon, non?, ça ne servirait à rien).3) Le hand-liner passe la touline dans la boucle de son gros cordage, là, lové à ses pieds, fait un beau de chaise –ou un beau nœud de n’importe quoi, de toutes façons, ça ne sert qu’à amener le cordage en haut- pour attacher la touline à la grosse boucle et que le toulineur tire et récupère le gros cordage, là-haut, et lâche à son tour.4) Le toulineur, heureux de voir qu’il n’a pas assommé le hand-liner et que celui sait faire des nœuds, tire le tout et se retrouve ainsi au bout d’une minute avec la boucle du gros cordage en mains.5) Le hand-liner, reconnaissant au toulineur de ne pas l’avoir assommé, ne lâche pas le bout de son gros cordage, parce qu’il veut le récupérer pour la prochaine écluse, mais surtout parce qu’il va négocier la position du voilier par rapport aux murs pendant que l’eau monte. Il passe le cordage dans un taquet, sinon, il ne lui reste à la fin ni doigts ni mains.6) Quand l’écluse est pleine, le hand-liner tire le gros cordage et rend sa touline au toulineur qui fait de grands signes de joie, nous souhaitant bon voyage. Et attend le suivant.Cette fine technique du toulinage a du être mise en place après de grandes hécatombes de hand-liner. En effet, un cordage de 30m qui vous tombe sur la tête du haut de l’écluse, ça fait mal. Certains mettaient des matelas sur les panneaux solaires, démontaient les éoliennes, voire songeaient à des armures pour les équipiers. Maintenant, nous avons d’adroits toulineurs qui s’entrainent sur des cibles à toulines, le long du canal. Je pense qu’il doit exister des Tournois de Toulineurs avec le grand concours de la Touline D’Or !Et la première écluse se referme sur l’Atlantique… En arrière, la route qui permet de traverser le pays se remet en placeLes vannes s’ouvrent et l’eau commence à bouillonner, à gros remous. Les deux voiliers ont du mal à garder une position stable et bien centrée. D’autant que l’efficacité des hand-liners du catamaran voisin est rapidement cataloguée comme “nulle”. Il faut serrer les cordages au maximum, et vite, l’eau monte rapidement et la longueur du cordage se doit d’être réduite aussi vite. L’équipage se donne à fond.Enfin, le calme revient, les portes s’ouvrent et en route pour la deuxième écluse.L’équipage se décontracte.Notre petit groupe suit tranquillement le Yakima Princess, de Manille, tractée par de petites locomotives. Pour ces monstres des mers, pas de moteurs, ils touchent presque les deux bords, laissant parfois à peine 30 à 40cm de libre. Le Yakima est mince, lui !
Le Lac Gatun, c’est la fin de la première série d’épreuves. Arrêt obligatoire jusqu’au lendemain. Funny Girl se sépare de Nemo. D’énormes bouées sont installées pour accueillir un ou deux voiliers, au milieu du lac.L’équipage canin sort le bout du museau. Mais il pleut, pas de bol, Jeannette! De toutes façons, il est vite l’heure d’aller se coucher. Geneviève lui a préparé un “nid de coussins” dans notre cabine, un hôtel 5 étoiles, quoi.
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