Les propositions mathématiques sont reçues comme vraies parce que personne n’a intérêt à ce qu’elles soient fausses. (Montesquieu)
(Hé! Hé! Hé! En voilà un qui m’enchante)
Cette nuit, Jeanne a réveillé tout le mouillage. Très attentive à son devoir de surveillance (sauf quand vraiment elle roupille profondément et que l’on peut passer devant elle sans qu’elle bronche…), elle invectivait la mer et son contenu. En courant d’un côté à l’autre du cata. Un raffut de tous les diables pour ce jour prédestiné! Comme les voisins, Luké s’est retrouvé la lampe à la main, à scruter l’eau. Un bruit de souffle intriguant… Une baleine dans la baie? Pourquoi pas, nous avons bien la visite des dauphins presque chaque soir. Et pourquoi ce jour est-il prédestiné pour un raffut de tous les diables ? Tout simplement parce que le Mercredi des Cendres est le point culminant du Carnaval, avec la première sortie des Diablos Rojos ! Les Diables Rouges du Carnaval (à ne pas confondre avec les chauffeurs de bus…quoique…), qui fouettent les Congos, jusqu’à ce que les Anges “de troupe” les attrapent et que les Anges Baptiseurs les ramènent dans le droit chemin!
Ce n’est pas clair? Bon, commençons par le commencement ! Les esclaves en fuite, au cours de l’odieuse époque, les “Cimarrons” (qui en Français sont devenus des Neg’marrons”) avaient créé dans la forêt une société autonome et adopté le nom de Congos. Le Carnaval, dans nos sociétés, c’est le moment “entre guillemets” de l’année, la période où tout est permis, où les maitres se retrouvent esclaves et les serviteurs, maitres… Au pays Congo, pendant ces semaines, se créaient des “Royaumes Congos” qui parodiaient la Cour d’Espagne, et les puissants et redoutés maitres. Pourquoi ce nom de Congo? Les avis éclairés (enfin, de ceux qui pensent l’être!) divergent. Pour certains, parce que les hommes et les femmes enlevés pour être vendus étaient originaires du Congo, et pour d’autres, ce serait en raison d’une musique spéciale, appelée Congo. Laissons les historiens se disputer. Les Sociétés Congos existent toujours, particulièrement en période de Carnaval. Et les Congos continuent à se déguiser, de bric et de broc, exhibant colifichets de pacotille, jouets cassés, morceaux de poupées ensanglantés, détritus divers: représentation symbolique et ironique de l’esclave ? Les rois et Reines Congo régentent encore d’une main ferme leurs sujets, appliquant les justes châtiments à ceux qui ne respectent pas les règles ! Et la “gouvernance” est réelle et acceptée par les membres de la communauté. Les Panaméens assistent mais ne font pas partie: les Congos parlent un dialecte compris d’eux seuls. Il est impossible de deviner ces sociétés secrète si on ne les connait pas. Toujours vivante et omniprésente : la musique de tambour rapide et lancinante accompagnée d’un chœur et d’une soliste pour un chant triste (mais on rigole quand même, faut pas s’inquiéter!).
Le Congo : chaussettes dépareillées par dessus un pantalon usé, mollets rembourrés, colliers autour de la taille et du cou, veston troué ou rapiécé, amoncellement de pendouilleries diverses dans le genre détritus, etc. Le visage est passé à la suie et, nec plus ultra, la tête surmontée d’un magnifique chapeau emplumé, empailleté, emperlé voire enguirlandé, bref: une œuvre d’art!
Le Carnaval débute bien avant le Mardi-Gras, ce serait bête d’attendre! Et les Congos sortent surtout le week-end quand les Panaméens viennent à la plage ou se détendre dans la petite ville. L’objectif est de récolter des dollars en arrêtant les voitures. Il n’y a qu’une route. Et des embouteillages monstres s’ensuivent.
Comme on ne manquera pas de le remarquer, la famille est déjà dans la barque, prête à sauter à l’eau! Mais que fait la police?
Luké a eu un matin la chance d’assister à un évènement local et festif: la route de Sabanitas bloquée par les Congos et les écoliers qui sortaient pour Carnaval (les malheureux ayant subi la rentrée scolaire annuelle il y a quinze jours) et dansaient au milieu des voitures… Bon, il a du marcher pendant trois kilomètres sous un soleil de plomb, puisque le bus avait déclaré forfait!
Nous avons rendez-vous “en ville”,chez Coco, dans l’après-midi, pour un bon café Panaméen. En sortant, notre premier diable se dresse devant nous !
Un Diable Noir, les pires! Celui-là est un affreux qui va fouetter Pierre sournoisement au moment de la photo. Moi, en bonne fausse jetonne, j’en profite pour le mitrailler pendant qu’il est occupé.
Vers 16h, les Congos se réunissent sur la promenade centrale, font leur show, déjà bien euh…en forme. Les bouteilles de gin ou d’anisette “partent” plus vite que les bouteilles d’eau. Le terrain est entouré de rebords (on verra l’importance du détail !), le public s’installe en attendant l’arrivée des Diables Rouges. Effervescence. Il faut être bien placé pour assister du plus près possible au spectacle. Mais pas trop pour ne pas subir les foudres et les fouets des Diablos. Une estrade a été installée, décorée de deux palmes de cocotier, devant laquelle les Anges se préparent. Sous un abris, les “officiels”, les anciens en fait, sont assis, ainsi que la Reine, une dame respectable: rien à voir avec une reine du Carnaval de Rio en string et paillettes. Les tambours vont rythmer la fête. Un couple danse en tenue plus ou moins folklorique, et la danseuse agite son grand jupon.
Déjà un brin fatigué, notre Congo!
Les “officiels” s’organisent pour tenir un long moment…
Car même sponsorisée par la bière Atlas, la fête a déclaré le gin boisson officielle, talonné de près par une anisette assez corsée !
Les Anges s’habillent; en Anges, version locale. Une grande chemise de nuit blanche passée sur un short. Les mollets doivent être nus. L’Ange doit souffrir pour alpaguer son Diablo et l’amener aux Baptiseurs. Lesquels, embusqués derrière l’estrade, se sont munis des armes traditionnelles, mais revisitées: une croix de bois rustique, un pot de confiture rempli d’eau (ou d’anisette?) et une branche de verdure pour la bénédiction!
Il y a même des Anges blonds à bouclettes, c’est dire si ils vont être efficaces!
Sans oublier la crème protectrice (il suffit d’y croire?) sur les mollets…
Des Congos dissidents et (ou) “modernisés” sont sur le terrain aussi. Tenue “Boulot, boulot”… Ah! ah! ah!… Oui, c’est juste pour Carnaval !
Le chapeau a disparu au profit de triviaux casques de chantier ou de moto. On a perdu au change! Au milieu s’est glissé une sorte d’aviateur sans avion, qui au début traine un petit vélo sans roues au bout d’une ficelle… Soit. Enfin, les Congos 2011 n’ont pas oublié les doubles ou triples paires de chaussettes protectrices et le sifflet chargé de provoquer les Diablos. Qui se font attendre. Ils défilent dans le village pour se faire admirer et surtout pour terroriser les enfants et les jeunes filles! Les Anges peaufinent les outils, préparent la corde et papotent avec les Congos…
Les spectateurs sont sagement installés en hauteur ou se tiennent sur les rebords, selon le degré de prudence. N’écoutant que mon courage, je descends dans l’arène, prête à risquer mes mollets pour ramener l’info et les photos!
Les Anges Baptistes sont fins prêts… Les Anges de troupe attachés en guirlande d’anges… Tout le monde attend… Grâce à notre amie Coco, qui est une assidue, nous sommes merveilleusement bien placés, juste devant l’estrade qui s’est transformée en fonds baptismaux.
Puisque nos Diablos se font prier (si, si, j’ai osé)… - ça fait bien une heure qu’on est là…- explication de la manœuvre: Les Diablos représentent le MAL, ce sont de vraies teignes armées d’un fouet ( Comme les anciens maitres des esclaves…) qu’ils n’hésitent pas à faire claquer avec énergie sur tout mollet qui passe. En particulier sur ceux des Congos –représentant les esclaves, en particulier ceux en fuite- harnachés pour résister. Et qui vont les provoquer à coups de sifflets et de gesticulations. Les spectateurs qui s’aventurent dans le terrain, les inconscients pour prendre des photos, les “Kékous” pour se mesurer aux monstres courent aussi de grands risques. Tourne alors en courant un chapelet (ah, elle est bien trouvée celle-là aussi) d’Anges, le BIEN, attachés par une corde -l’ange de tête armé d’une croix (prudence est mère de sûreté)- dont le boulot est de protéger les Congos, puis d’entourer un Diablo, d’éviter de se faire lacérer les mollets nus, et de l’amener une fois épinglé jusqu’à l’estrade. Là, les deux Anges Baptistes ( le TRES BIEN ? ), plutôt des “prêtres” d’ailleurs, vont exorciser le Diablo –qui se tord, écume, éructe, saute… comme un diable sur le grill-. Enfin, injure suprême, ils vont le baptiser d’office et à son corps défendant. Une fois aspergé, il doit quitter son masque. Ce qui ne l’empêche pas de retourner dans l’arène pour jouer du fouet à tout va, rempli d’une sainte colère à présent. Le plus savoureux: les Anges Baptistes sont deux de nos chauffeurs de bus. Comme quoi, on peut être à la fois un Diable Rouge de la route et un Ange Baptiste …
Ils arrivent en troupe et en rogne visiblement. C’est qu’ils ne doivent pas avoir froid, les Diablos, car même habitués aux flammes de l’enfer, le costume en combinaison complète, avec pieds en feutre, fourrure ou plumes, masque pesant plusieurs kilos et gants noirs, est une étuve. Les fouets sifflent de tous côtés. Les Diablos se déplacent comme de façon martiale et impressionnante: pas lourds et pesants, lents, genoux pliés, faisant trembler (enfin, si possible!) le sol de l’arène… Leurs mollets sont enserrés dans des bracelets de clochettes qui avertissent de l’arrivée et scandent les pas. Les enfants sur les côtés ouvrent des yeux ronds et ne mouftent plus, accrochés à leurs parents! Le tout sur un fond constant de tambours déchainés. Impressionnant. Surtout quand on apprend que les Diablos, ce ne sont pas des rigolos et que les coups de fouet, ce n’est pas pour amuser les touristes, c’est du vrai, du cinglant, du qui mord et fait saigner! Les costumes sont rouges, ou rouges et noirs souvent, noirs complets parfois, et cette année, un Diablo vert, un original, est de la partie. Ils sont magnifiques, avec des crêtes, des ailes (diaboliques), des dents monstrueuses dans des “gueules d’enfer!
Les Congos virevoltent au milieu, et les fouets claquent …
Des téméraires se jettent dans l’arène, avec chaussettes ou sans! En effet, ça cingle vraiment, ce n’est pas du théâtre ! Notre amie Christine sera victime d’un Diablo particulièrement sadique lequel, avisant les jambes nues de la dame en short (mauvaise idée!) lui a “offert” une belle balafre sanglante sur le mollet. J’ai eu plus de chance (et un jean aussi, ça aide), mon Diablo, enfin, celui que je n’avais pas entendu arriver (un Diablo ne court pas, on le voit ou on l’entend arriver!) et qui m’a surprise au moment d’une photo, m’a juste gratifiée d’un petit rappel à l’ordre sur le pied: on se range sur le rebord, ma p’tite dame!
Celui-là, je l’ai vu arriver! Et reconnu! Avec son air entre deux airs, il s’était mis en tête de régler la circulation sur le terrain en fouettant tout ce qui dépassait… Pas intérêt à mettre un orteil dans l’arène. Ou alors il faut sauter presto sur le bord en prenant… un air angélique?
Sur fond de tambour, le bruit des clochettes rythme les déplacements des Diablos qui ont pris possession du terrain.
On comprend qu’avec de si grands pieds, ils ne peuvent pas courir comme des lapins, les Diablos… Il faut lever haut la jambe!
Quelques règlements de comptes?
Les Anges se concertent avant l’assaut. Puis entrée en scène. Repérage du Diablo. Encerclement. Avec un peu de chance et une petite prière, le Diable est dans le sac. Il ne reste plus qu’à l’amener au sacrement.
Concertation…
Celui-ci ? Ou celui-là ?
Pris!
Pris aussi, le Diablotin!
A SUIVRE ……A SUIVRE…….A SUIVRE……….A SUIVRE……….A SUIVRE ……A SUIVRE…….A SUIVRE……….A SUIVRE………A SUIVRE…….A SUIVRE……
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