mercredi 26 janvier 2011

LES DIABLES ROUGES DE LA ROUTE… Sabanitas, le 26 janvier 2011

Rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on n‘en a qu’une. (Paul Claudel)

Ils s’appellent souvent “Désirés” les bus ici. Mais quand on les voit approcher, on n’est pas déçus! De véritables œuvres d’art populaire. Toniques, éclatants de couleurs, débordants de sujets divers et variés, le coin chauffeur aménagé en bonbonnière pour demi-mondaines du Second Empire -tout en peluches rouge, roses, multicolores, moquette à poils longs et pompons à plumets- agrémentés de pensées philosopho-religio-sentencieuses  sur les flancs et à l’intérieur. Somptueux! A l’origine, ce sont d’anciens bus scolaires des Etats-Unis, bons pour la retraite, rachetés et remasterisés. Certains sont en état, quelquefois même en bon état, d’autres moins, d’autres encore frisent l’épave roulante. Mais tous sont conduits de main de maitre par des chauffeurs déjantés (comme leur bus…), à la conduite digne du Rallye de Monte Carlo: les Diables Rouges de la route!

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Celui-ci est un visionnaire (rassurant pour les passagers?), on peut supposer qu’il voit au moins la route… Car parfois la question se pose quand autour du pare-brise déjà bien maigrichon, pendent toutes sortes de gris-gris sûrement protecteurs. Ce qui n’empêche pas le chauffeur et certains passagers (d’un naturel inquiet) de se signer en marmonnant une petite prière au moment du départ. Moi, ça ne me rassure pas du tout.

Pour Noël ou en période de Carnaval, on peut voir passer de véritables sapins de Noël roulants. Les guirlandes lumineuses scintillent, les loupiotes clignotent, ce ne sont plus des bus mais des étoiles filantes géantes. Et carrées!

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déco chauffeur

                                 Après le style “Bonne nuit le petits”, nous avons aussi en magasin le style “Drag queen mâtiné fort des halles”…

DSCN5168Avec frous-frous rose bonbon, volant et tous les ce qui est possible enturbanné de rose, et déco bouteilles de bière. Et chapelet, bien sûr.

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Ventilo rose, plafond matelassé rouge: un petit boudoir d’un genre spécial. Entre les boas en plumettes rose vif, le pare-brise où, des fois que le conducteur y verrait quelque chose, on a collé les recommandations chargées de lui boucher définitivement la vue: “Ne pas déranger le chauffeur”. Ben oui, il doit se concentrer, le pauvre homme…

Le ballet des bus est impressionnant. Peu d’habitants de Portobelo (et des autres villages) possèdent une voiture. Trois ou quatre familles au maximum: les taxis et une ou deux voitures “officielles”. Le bus est le moyen de déplacement pour tous et à toutes heures du jour et presque de la nuit. Les grands bus frigorifiques qui vont de Colon à Panama roulent 24h/24, les autres de 5h du matin à environ à 22h. Les horaires sont assez réguliers au départ de Portobelo mais au départ de Linton, en bout de ligne, nettement plus fantaisistes! Une fois installés, il faut compter entre une heure et quart et deux bonnes heures pour Sabanitas (30 km) selon le moment de la journée, l’entassement des passagers et les arrêts du chauffeur. Le chauffeur stoppe dès qu’il entend “Parada”. Et on peut le crier tous les 20m car ici, on ne marche pas! Un bus est capable de rouler au pas de la tortue si celui qui le précède lui a piqué tous les clients. Mais un bus “normal” se doit de rouler à toute allure, doubler les autres bus surtout quand ceux-ci sont arrêtés à une Parada, que ce soit en plein tournant ou pas, et voilà, enfin être le premier pour les clients qui attendent au bord de la route. Dès le milieu de la matinée, ils sont remplis pire qu’un œuf abritant des triplés. Le Panaméen –et la Panaméenne surtout- porte beau. Et lourd. Les sièges sont prévus à l’origine pour des scolaires ( lesquels, même Américains, ne sont pas si gros que ça). La méthode Egyptienne – glisser de profil- est souvent adoptée pour sortir car il y a des hanches plus larges que l’allée centrale. Tout en écrasant joyeusement ceux qui sont assis car faut bien pousser pour passer! Mais il vaut mieux être assis quitte à se retrouver écrasés et aplatis entre des débordements de chairs impressionnants.  Pour peu qu’une belle senora nous agite sous le nez un ventre qui jaillit du débardeur (trois tailles en dessous, le débardeur, comme le jean, c’est la mode au Vénézuela, en Colombie, à Panama…) surmonté d’un frétillant et monumental balcon.

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Soit, les décos ne sont pas toujours du meilleur goût. Quoique, disons, surprenantes, un mélange de Xéna, la Superwoman du Crétacé, avec des monstres mythologiques tout à fait locaux, de portraits d’enfants ravissants, de playmates de calendrier (et oui, on ne va pas les refaire, les hommes de la route) et de vigoureuses imprécations bibliques!

DSCN4619Que dieu te donne le double de ce que tu  m’as donné…

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Pensant que les écrits ne suffisent pas, nous avons eu la joie de profiter deux fois, pendant le plus long trajet, des couplets moralisateurs et hystériques de prédicateurs. Travaillants par deux –un qui harangue la foule et l’autre qui tient la caisse- la litanie se poursuit sur fond de salsa et de roucoulements radiophoniques. Après une bonne heure d’invectives et de recommandations –non à l’adultère, non à la drogue, non à l’alcool, et surtout n’allez pas en discothèque!- l’apprenti fait passer la boîte. Et le plus surprenant, c’est que les gens donnent. Même les jeunes. Mais pas nous.

Notre bus préféré, “l’Expreso Gabriel”, part le matin à 6h40 pour Colon, en direct et en exprès. Ce qui veut dire qu’il ne s’arrête que pour les travailleurs qui sont employés à Colon, en ville ou au canal. Si on veut le prendre, et que l’on n’est pas travailleur, il faut s’y installer à partir de 6h30 au départ, devant la cathédrale de Portobelo.

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Mais même sponsorisé par l’Archange Gabriel, un petit peu de peps ne fait pas de mal:

DSCN4622Sexy Lady! Olé!

Et “Je ne suis pas parti”: Oui, on voit ça…

Les retours de Colon sont épiques. Le bus se prend, à Colon, au Terminal, avec des emplacements bien définis, des files d’attente, et des gens qui attendent… Sauf que au moment où ce satané petit bus se gare dans son emplacement pour que nous prenions place, il est déjà presque entièrement “réservé”. A la Panaméenne: une personne monte et pose sur chaque siège un mouchoir, une casquette, un vague chiffon: la place est réservée! Les couillons qui attendent au départ (ceux qui n’ont pas attrapé le bus avant son arrivée à vide, une fois qu’il a déposé les clients de l’autre côté) montent, soupirent et se posent la question: j’attends le suivant ou je me tape deux heures de trajet debout, compressé comme une tranche de viande sous vide, sachant que le retour du soir, c’est arrêt tous les 20m?  Un jour, Luké a pris sa colère et demandé au chauffeur pourquoi quand il arrive, il n’y a déjà plus de place: “Ehhh béééé”… Du coup, le chauffeur nous a placé juste derrière lui, et le reste du trajet j’ai pris sur les genoux l'énorme cartable d’une petite écolière qui revenant de classe avait fait aussi les courses pour la famille. Et dans les jambes, d’autres sacs. Le chauffeur lui aussi entasse des sacs autour de lui. Et entasse les gens dans l’allée. Bon, nous avons de la chance:  ici les chèvres et les poules ne prennent pas l’autobus, c’est déjà bien.

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Et le pire (du pire!) c’est si nous tentons l’attaque du bus à Sabanitas, entre Colon et Portobelo. Le bus arrive donc déjà débordant avec des clients debout bien serrés. Mais les autres peuvent monter tant qu’ils veulent. Tant qu’ils peuvent. Le rabatteur appelle à grands cris jusqu’à ce que la dernière marche soit occupée par au moins cinq ou six hommes –on évite les femmes, c’est moins solide- en grappe compacte, accrochés à la  porte. Le reste tente l’assaut par la fenêtre du fond. Ce que nous avons fait un jour de retour de Panama, épuisés, ne voulant pas attendre le suivant. Les gens nous ont poussés, tirés, hissés à l’intérieur. Arrivée en vrac, mais on y était! Le plus extraordinaire est la gentillesse des Panaméens, la tolérance et la … patience! Ils étaient déjà dans les 70 pour un bus de 45 places assises… Mais si d’autres veulent s’ajouter, et bien, on les aide! Et quand le bus prend feu, comme c’est arrivé à Luké un soir, tout le monde descend en piaillant, le chauffeur jette un peu de terre sur la roue enflammée  et on repart.

En musique bien sûr! Et à fond s’il vous plait. Les gens connaissent les tubes par cœur et chantent. Ou s’endorment. Matin et soir, dans le hurlement des décibels qui déversent de sirupeux boléros ou de toniques rumbas (des histoires d’amour terribles, éprouvantes, hululantes), la moitié des passagers dort. L’autre chante. Nous, on a un air un peu abruti au milieu de tout ça. On essaie de trouver une position confortable sur des sièges à l’origine faits pour de courts trajets et de légers fessiers. Et à présent complètement défoncés!

 

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le bien nommé

Le bien nommé!

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